Tout ce que fait le pouvoir de l'Univers se fait dans un cercle. Le ciel est rond et j'ai entendu dire que la terre est ronde comme une balle et que toutes les étoiles le sont aussi. Les oiseaux font leur nid en cercle parce qu'ils ont la même religion que nous. Le soleil s'élève et redescend dans un cercle, la lune fait de même, et tous deux sont rond. Hehaka Sapa

mercredi 26 janvier 2022

La 432, Si on allait un peu plus loin ?

 Par ce dialogue imaginaire, j’ai voulu rassembler les réflexions qui me sont venues depuis que j’entend parler de ce phénomène.

 Je pratique la musique depuis plus de cinquante ans, et il me semble important d’éclaircir les notions de base telles que les fréquences et les gammes dont
beaucoup parlent sans vraiment savoir sur quoi tout cela est construit. 

Le scène est simple : ce sont deux amis qui discutent tranquillement.
 

- Alors voilà, j’entends parler depuis un certain temps d’une théorie qui prétend que le La qu’on
utilise pour s’accorder n’est pas bon, et qu’il faut passer au La 432...
Comment peut-on affirmer une chose pareille ?
C’est basé sur quoi ?
 

- Le La qu’on utilise pour s’accorder est et a toujours été une convention entre musiciens
pour jouer ensemble. Depuis qu’on utilise un diapason, sa fréquence n’a pas cessé
d’augmenter et actuellement le La 440 commence à céder le pas au La 442. Il existe effectivement un courant de pensée en faveur du La 432. Ce courant séduit beaucoup de gens pour des raisons de bien être, de résonance planétaire, et tout un tas d’arguments assez séduisants.
Je vais tout d’abord te montrer d’où vient cette valeur de 432.
La façon la plus simple de résumer les choses c’est de reprendre la définition du mot Fréquence.
On nomme fréquence d’un son le nombre de vibrations produites dans l’air en une seconde.
Un son pur, qui reste à une même fréquence, produit d’autres fréquences, multiples de sa fréquence propre et c’est ce faisceau de fréquences qu’on nomme harmoniques.
La gamme est issue de ces harmoniques.
Notre gamme de Do contient sept notes et chacune d’elles est issue d’une harmonique du Do initial.
Le Do engendre un autre Do à l’octave (le double de fréquence), puis un Sol (triple de fréquence), puis un autre Do (quadruple de fréquence), puis un Mi (quintuple...) et ainsi de suite.
 

- Et ça s’arrête quand, ces harmoniques ?
 

- En théorie, ça ne s’arrête pas, mais en fait, tout dépend de ce qui est activé par la note. Les résonateurs peuvent amplifier certaines harmoniques et pas d’autres, mais je vais te montrer d’abord ceci :
Considères que le Do de départ a une fréquence de 1 herz, donc une vibration par seconde.
- mais 1 herz, c’est inaudible !
-Oui, attends un peu...c’est inaudible, mais la vibration existe et, avec elle les harmoniques aussi.
Le double de fréquence donne l’octave. Donc ce Do 1 engendre le Do 2, puis le Do 4, puis le 8, le 16, 32, 64,

-Et les autres harmoniques alors ?
-Le triple de fréquence donne ce que tu nommes quinte. En Do, la quinte c’est le Sol. Donc 3, 6, 12, 24, 48, 96... sont des Sol.
Do 1 donne Sol 3 (triple de fréquence du Do 1), qui donne Ré 9(triple de fréquence du Sol 3), qui donne La 27 (triple de fréquence du Ré 9)...
(Voir note 1, formation de la gamme naturelle)
Et de la même façon, Do 16 donne Sol 48, qui donne Ré 144, qui donne La 432 !
 

-OK ! Le La 432 est donc tout simplement issu de cet enchainement des harmoniques en partant du
Do à 1 herz !
- Tout simplement.
Mais avec un petit bémol...
- Vas-y !
- Ce que je viens de te montrer est vrai dans l’absolu. La gamme engendrée par les harmoniques pures d’un son fondamental est appelée Gamme Naturelle. Or celle qu’on utilise en occident n’est pas la même.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu’à une époque, on a triché. Bon, légèrement, mais c’est tout de même une tricherie.
La gamme naturelle ne permet pas ce qu’on appelle la transposition.
 

- Transposition...Kézaco ?
- En gamme naturelle, les intervalles entre les notes ne sont pas des tons et demi tons. Il y a des grands tons, des petits tons, des grands demis tons et des petits demi tons.Si tu joues en Do et que tu veux jouer en Ré, les notes de la gamme de Do ne vont pas exactement correspondre à celle de Ré. Pour obtenir plusieurs tonalités sur un même instrument, Jean-Philippe Rameau a décidé de créer ce qu’il a appelé le Tempérament. Les degrés de lagamme naturelle sont inégaux. La gamme tempérée corrige ces inégalités en faussant légèrement les intervalles des quintes, des tierces, des septièmes, pour obtenir des tonségaux et des demi-tons égaux.
- Mais... c’est incroyable de faire un truc pareil de la part d’un musicien !!
- Oui, tu peux le dire, mais ça a quand même ouvert des possibilités qui n’existaient pas
avant...
- OK, mais la justesse, alors ?
- Rameau a décrété que la différence serait imperceptible. Or ce n’est pas vrai. Vas jouer avec un musicien Arabe, par exemple, il va t’expliquer le quart de ton, ne serait-ce que ce petit détail.
- Et alors il a changé quoi , Rameau ?
- Il a décidé que enchaînement de douze Quintes devait être égal à sept Octaves.

-Et c’est faux ?
- Fais le calcul : A partir d’un Do 64, la septième octave donne un Do 8192
a partir du même Do 64, la douzième quinte donne 8303,76...
Et pour créer sa gamme chromatique, il réduit l’intervalle de quinte de un douzième de la différence de façon à pouvoir accorder ses clavecins et tous les instruments à gamme tempérée.
Et tous les accordeurs de pianos savent ceci, et faussent les quintes pour caler les douze tonalités sur un même instrument. Ils utilisent aussi une autre façon qui consiste à élargir les octaves pour ne plus fausser les quintes. Mais c’est toujours une gamme tempérée, donc faussée.
 

- Et alors, notre La 432 ?
- Et bien il subit les mêmes contraintes que les autres notes.
Si tu accordes un piano avec ce diapason, tu vas devoir fausser soit les Quintes soit les Octaves, car il te faudra tempérer ton piano.
 

- Et alors pourquoi cet engouement pour cette fréquence 432 ?
- Oh, quelqu’un à qui on avait du montrer ce que je viens de te montrer à partir du Do à 1herz, qui amène des La à 27, 54,108,216 et 432.
Ce n’est pas un dogme, c’est une façon claire d’expliquer comment se produisent les notes à partir d’un son pur.
Mais tout ça est à prendre avec du recul, car la notion de fréquence est liée à la notion de temps.
- Mais le temps est le même pour tout le monde ?
- Oui, tout le monde, ou presque compte le temps en heures, minutes et secondes. Mais as tu remarqué que, si c’est le système sexagésimal qui sert à diviser le temps, les divisions de la seconde, eux, sont liés au système décimal. On compte les dixièmes de secondes, les centièmes , etc jusqu’aux nanosecondes, et plus encore.
- Bon, mais où veux tu en venir ?
- Au fait que la notion de seconde, de minutes , même d’heure est arbitraire. A l’époque révolutionnaire on avait pas seulement modifié le calendrier , mais le comptage du temps.
Dix heures pour un jour, cent minutes pour une heure et cent secondes pour une minute.(2)
- Sans blague ?
- En « temps décimal »,le La 432, ne définirait pas du tout la même fréquence (100.000 secondes en jour décimal, 86400 secondes en jour sexagésimal)
L’engouement pour le chiffre aurait été le même, mais la note aurait été nettement plus aigüe.
- Bien vu !
- Ajoute à ça la notion de température. Qui modifie la vibration du diapason de façon perceptible.(3)  Et puis, autre chose : demande à un violoniste, ou violoncelliste de te jouer un glissando du grave à l’aigu, posément, et exerce toi à distinguer si parmi les fréquences qui sonnent certaines sont bonnes ou mauvaises.
- Oui, c’est un peu comme de demander à un maçon quelle est la meilleure longueur pour construire !
- Voilà.
Au passage...Sais-tu pourquoi il est interdit à une armée de marcher au pas en franchissant un pont ?
- Parce qu’il risque de faire écrouler le pont !
- Oui. Doit-on en déduire que la fréquence de la marche est néfaste ?
- Non. On se comprend. C’est seulement si la fréquence propre du pont est identique à celle du pas des soldats que le pont va s’écrouler.
- Voilà. Et bien ici, c’est la notion de justesse qui apparaît. Car en musique la justesse entre deux fréquences (deux chanteurs ou deux instruments) amène une amplification des deux notes produites et, même, en fonction de la résonance, une note « résultante » des deux premières apparaît et bonifie les deux.
La ‘petite’ différence de la gamme tempérée que Rameau minimise prive en réalité de cette harmonique ‘fantôme’ qui vient nimber la justesse des musiciens.
L’air ambiant qui reçoit les deux notes en rapport de justesse joue le même rôle que le pont :
il amplifie.
Le pont étant rigide éclate alors que l’air transmet sans limites .
Or les personnes qui portent aux nues le La 432 incitent tous ceux qu’ils rencontrent à écouter leurs musiques favorites en les modifiant avec un logiciel qui transforme le diapason
440 en 432.
- Et alors ?
- Cette tranformation ne modifie en rien la gamme tempérée qui est utilisée au départ. Tous les intervalles restent légèrement faussés, comme je te l’ai déjà montré.
- Bien compris.
Un dernier conseil pour conclure ?
- Oui, et même ... le plus important !
Je n’ai pas encore évoqué le pouvoir de l’intention. En musique comme ailleurs, c’est l’intention qui va déterminer la beauté. Si tu joues parfaitement tu seras admiré . Mais la beauté de la musique n’est pas liée à la perfection. Si tu n’as aucune émotion, aucun sentiment, tu déclencheras uniquement l’admiration.
- C’est un bon début, dis moi !
- Pas pour moi. La musique la plus humble, la plus simple peut amener une telle émotion que rien ne peut remplacer. Que tu exprimes cette émotion en La 432 ou toute autre fréquence (révolutionnaire ou martienne si tu veux) tu comprendras ce que je veux dire.

Postface
Ces considérations m’ont permis découvrir un nouvel horizon.
Cette idée de fréquence idéale me semble tellement désuète...
Lorsque je reprends l’explication des harmoniques d’un son, je pars de la fréquence de 1 Hertz.
Or, entre un hertz et deux hertz, il y a une infinité de possibilités, donc à chaque fois un faisceau d’harmoniques donnant naissance à une nouvelle tonalité.
C’est ce que j’ai tenté de faire apparaître en parlant du glissando.
On entre alors dans un monde fractal, qui me semble plus exact que cette vision limitée qu’a apporté Rameau et sa gamme « Tempérée ».
La gamme tempérée a entrainé la croyance (tout du moins en Occident) en une musique limitée à douze tonalités.
Ces douze tonalités (faussées pour tenir la route) étant toutes indexées à un diapason tout puissant.
Un La 440, ou 432, bref, un chef de file que tout musicien doit considérer comme fondamental.
Or la nature ne connaît pas ce genre de procédé.
 

Lorsque la théorie de la terre plate a laissé la place à notre réalité sphérique, on a mieux compris le cosmos et on s’est ensuite rendu compte que des civilisations antérieures avaient déjà intégré la sphéricité de notre planète.
Dans un ouvrage paru l’an dernier (https://livre.fnac.com/a12894915/Philippe-Champagne-Du-haut-et-du-bas ), j’expose ce que j’appelle la Sphéricité de la réalité. Une sorte d’exhortation à en finir avec l’approche bidimentionelle de la réalité. La terre plate est encore très présente dans toutesles écoles, puisque tout ce qui s’y transmet se fait en deux dimensions (tableaux de classe, bureaux,
cahiers, livres...) au point de faire paraître l’espace tridimentionnel comme extrêmementcompliqué... Alors que c’est tout l’inverse.
Le vivant est naturellement tridimentionnel.
 

Le La 432 , résonance de la terre ?
Hors contexte musical, je me suis renseigné sur ce qu’on appelle la résonance de Shumann,(4) phénomène avéré et largement documenté, qui donne la fréquence fondamentale de la cavité située entre la surface de notre planète et la Ionosphère à 7,8 Hz.
Très proche de 8, donc du Do4 de notre exemple du début, je calcule la fréquence du La correspondant, soit : 7,8 X 3X 3 X 3 = 210.6 pour le La, et à l’octave, le La suivant est à : 421,2 Hz.
J’aimerai savoir où les partisans du La 432 ont puisé leur résonance planétaire. Peut -être faisait-il très chaud ce jour là ?
 

Notes
1 Construction de la gamme naturelle
Le faisceau des harmoniques donne tous les multiples de la fréquence de base, ou fondamentale.
La seconde donne l’octave en Do, cest un Do
La troisième donne la quinte, en Do c’est un Sol
la quatrième la double octave, toujours un Do
la cinquième donne la tierce, en Do, c’est presque un Mi
la sixième donne la quinte à l’octave, encore un Sol
la septième donne la septième, presque un Si bémol
La huitième donne la triple octave, encore un Do
La neuvième donne un Ré
La dixième donne un presque Mi à l’Octave
La 11 ème donne un presque Fa
La douzième donne encore un SolLa treizième donne un La
Et le tour est joué, sauf que les notes ainsi obtenues , bien qu’étant parfaitement justes entre elles, ont des intervalles inégaux, ce qui ne permet pas de les transposer, comme sur un piano, ou sur une guitare.
Les explications données sur wikipédia embrouillent délibérément les choses en prenant comme référence absolue la gamme tempérée. Alors que celle ci est faussée délibérément pour permettre la transposition.
Au prix de la justesse, j’insiste !
Cette gamme « Occidentale » est passée dans les mœurs comme étant LA référence, mais si on regarde de près le vocabulaire qui la sous tend, il y a de quoi rire : Le mot Bémol vient d’une faute de traduction de l’allemand. En effet, en allemand, les notes sont les huit premières lettres de l’alphabet le La étant la première, donc il se nomme « A ». Et le Si se nomme « B »
Et lorsqu’il a été question d’installer deux tonalités sur un clavecin, la tonalité de Do et celle de Fa,
il a fallu créer une nouvelle note , le Si étant trop haut, on le baissa d’un demi ton, ce qui en allemand se dit « Moll ». B Moll signifie donc Si diminué. Mais les français ont traduit par Si Bémol, et le terme Bémol fut attribué à toutes les autres notes (Mi Bémol, La bémol...) alors que le Bé de Bémol signifie « Si ».
Et personne parmi tous les savants musicologues de nos conservatoires n’a pris soin de rajuster les
choses. Zut alors!(5)
 

2 -L’unité de temps est arbitraire

 
Nous nous moquons facilement du système impérial toujours en vigueur dans les pays anglo-saxons. C'est vrai qu'il est malcommode pour les calculs. Pourtant ce n'est pas la peine de chercher bien loin. En France nous utilisons encore une mesure aberrante héritée de l'ancien régime : le temps subdivisé en base 12 (duodécimale) et en base 60 (sexagésimale). Nous avons des journées
de 24 heures de 60 minutes de 60 secondes !
A la révolution, l'Académie des Sciences a été chargée d'unifier et de rationaliser tout ça.
Naturellement, les scientifiques ont opté pour le système décimal qui facilitent tous les calculs arithmétiques. C'est encore celui que nous utilisons aujourd'hui avec les mètres divisés en 100 centimètres (ou les euros divisés en centimes). Alors qu'ils étaient occupés à révolutionner les unités de longueurs, volumes, poids, et monnaies, ils se sont aussi intéressés au temps.
Le temps décimal fut adopté par décret en 1793. La journée est divisée en 10 heures de 100 minutes de 100 secondes. Logique et pratique ! A 10h, il est minuit, et à 5h, il est midi. Des horloges et des montres furent même construites dans ce nouveau système. Mais elles sont aujourd'hui très rares.
Et pour cause. Malgré l’opposition de Robespierre, le temps décimal fut abandonné officiellement un an et demi plus tard.
 

3
Exemple de variations du diapason d’un instrument à vent en fonction de sa température.


 10°c 433hz            15°c 436hz             20°c 440hz                       25°c 444hz
  

 Données calculées avec le logiciel RESONANS d’aide à la conception d’instruments à vent de l’IRCAM4

4 Les résonances de Schumann sont un ensemble de pics spectraux dans le domaine d'extrêmement basse fréquence (3 à 30 Hz) du champ électromagnétique terrestre. Ces résonances globales dans la cavité formée par la surface de la Terre et l'ionosphère, qui fonctionne comme un guide d'onde, sont excitées par les éclairs. Le mode principal a une longueur d'onde égale à la circonférence de la planète et une fréquence de 7,8 Hz. Sont présentes, en plus de la fondamentale
à 7,8 Hz, des harmoniques à 14,3 Hz, 20,8 Hz, 27,3 Hz et 33,8 Hz. Ces valeurs présentent une légère excursion de fréquence, précisées dans la page originale.
Elles sont nommées d'après le physicien allemand Winfried Otto Schumann qui les prédit dans les années 1950. Elles furent observées dans les années 1960.
La prédiction des résonances de Schumann est attribuée au physicien allemand Winfried Otto Schumann qui en avait anticipé l'existence dans les années 1950,mais il fallut attendre une décennie pour qu'elles soient mesurées1,3,4. George Francis Fitzgerald (en 1893) et Nikola Tesla
(en 1900) avaient déjà émis l'idée que la cavité surface-ionosphère puisse servir de guide d'onde dont ils avaient calculé l'ordre de grandeur du mode principal et émis l'idée que les orages puissent
exciter la résonance1.
 

5-Origine du mot « Zut »Pour faire mémoriser les notes de la gamme, un moine utilisa ce cantique en latin.
Utqueant laxis, Resonare fibri, Mira gestorum, Famuli tuorum, Solve polluti, Labii reatum, Sancte Joannes
Traduction : Pour que puissent, résonner les cordes, détendues de nos lèvres, les merveilles de tes actions, enlève le péché, de ton impur serviteur, ô Saint Jean (poème écrit par Paul Diacre au milieu du VIIIème siècle)
Un jour un de ses élèves avait du mal avec le Ut, le maître voulant le corriger lui dit: « Dites Ut », (en faisant la liaison) et l’élève répéta : « Zut », ce qui eut pour effet de détendre l’athmosphère.
Bien plus tard, le Ut fut remplacé par le Do, mieux vocalisable, mais le zut est resté.

Bigre !

dimanche 18 avril 2021

Comment ça marche 

J'ai publié ce texte voilà plus de 20 ans et il me semble complètement d'actualité...



On dit : «comment ça marche», et on attend de comprendre...

Trois mots qui appellent une réponse certaine, et on pense qu'effectivement ça va marcher, qu'une réponse va venir, qui va combler le vide induit par la question...


Bon si on s'en tient à la question, il y a le mot 'marche', du verbe 'marcher'. Qu'est-ce qu'il désigne ?


Le fait qu'une chose fonctionne, agisse d'une certaine façon, on recherche une certaine cohésion dans la réponse, un enchaînement logique de faits concrets, tangibles. Au besoin, on réclamera des précisions pour mieux se faire une idée du phénomène en question.


Et pourtant ce verbe marcher qu'on utilise tellement pour améliorer notre compréhension du monde , ce mot si pratique, qu'on pourrait croire étudié pour, bref, ce mot, à force de l'entendre, de l'utiliser, voilà bien qu'un beau jour de printemps je me suis mis à le voir d'une autre façon : une façon qui me faisait me dire en mon for intérieur : «allez, ça suffit, toi et tes trouvailles...», mais non, rien ne m'arrêta et je me vis face à un terrible doute, qui allait grandissant. Une vaste méprise aurait-elle pu naître dans un passé dont on ne sait presque plus rien, sauf quelques traces poussiéreuses d'un autre âge, des écrits en langage passé de mode...


Tout absorbé par mes pensées, je me plongeai dans l'étude de ce fait litigieux, s'il en est.


En voici les grandes lignes.


Le sens le plus courant du verbe marcher, dans notre belle langue française est le fait d'aller à pied, de se déplacer naturellement, sans artifice, on lève un pied, la jambe avance en l'air, l'équilibre du corps se déplace vers l'avant, amenant l'autre pied à basculer pendant que le premier reprend contact avec le sol, relançant ainsi le déséquilibre vers l'avant, et ainsi de suite. L'ensemble de ces gestes, soigneusement appris au cours de notre première année, constitue le meilleur moyen des déplacer d'un endroit à un autre pour toutes les raisons du monde.


En français, on dit donc : «marcher». En anglais "to walk".


Le latin : «ambulare» ne nous a laissé qu'une maigre trace avec notre «déambuler», mais également «ambulance», qui désignait, bien avant l'automobile, le messager pédestre des armées. Marchand ambulant fut un terme de notre langue, et un métier .


Mais le plus souvent on dit marcher.


Pour les mains, on sait dire manier, on embrasse encore grâce à nos bras, mais nos jambes, elles, ne jambulent pas, ni ne iambulent, ni n'ambulent : elles marchent. Oui.

Depuis quand ?

Depuis que des martiens en ont ainsi décidé !

Des martiens, j'exagère : des études récente ont prouvé qu'ils n'existaient pas. D'ailleurs c'est nous, terriens qui avons bel et bien nommé Mars une planète, et un mois de l'année, et aussi un jour de la semaine, et pour quelle raison, s'il vous plaît ?

En l'honneur du Dieu de la guerre : Mars.

Celui que les latins priaient avant la bataille pour obtenir la victoire. Les armées, réunies sur le champ 'de Mars', recevaient les exhortations des imperators, puis partaient à pieds, au pas des armées, vers l'ennemi...

En italien, on dit camminare, qui a son corollaire français dans certaines campagnes anciennes : cheminer. L'italien dit encore andare, mais lorsqu'il s'agit de militaires, il dit 'marcciare' : marcher.

Ah tiens ! L'héritier direct du latin impérial distingue plusieurs façons de marcher.

Nous non. Je m'interroge alors un peu plus sur cette curieuse façon que nous avons, nous les français, de nous déplacer sans pourtant réfléchir au sens de la marche...

L'ennemi, il faut le dire, était quelquefois loin et il fallait aller, pour le trouver, aux confins d'un royaume, confins qu'on prit l'habitude de nommer : «Marches».

Les marches étaient aux Marquis ce que les Contés étaient aux Contes ou les Duchés aux Ducs. Mais dans une Marche, il n'y avait pas les mêmes modes de fonctionnement que dans les autres régions : dans une marche, l'armée du roy avait un droit de réquisition permanent. Les récoltes, les biens, les gens, tout ce qui pouvait servir à l'armée en guerre...

Le roy avait avantage à entretenir des armées sur le pied de guerre dans les Marches, car c'était là que l'ennemi pouvait menacer sa couronne. Aussi, pour la bonne marche des conflits, il enjoignait ses généraux, dans la plupart des cas, donc généralement, à rassembler leurs armées là où ils se trouvaient, à les préparer et, ceci fait, à les faire partir dans les Marches.

L'armée partait alors en Marche, bien évidemment à pied, une, deux, une, deux. On leur disait : «en avant : Marche ! » et tous, au pas, sans plus réfléchir, ils marchaient.

Tous.

Bon presque tous, je ne sais pas exactement le nombre, mais ceux qui gagnèrent furent les plus nombreux, donc ils étaient certainement nombreux à obéir, et que pour les y aider on leur faisait de la musique. Militaire, la musique, d'ailleurs on disait là aussi : marche.

Et plus ils étaient à marcher dans cette histoire, plus ils avaient le sentiment d'exister pour l'histoire, jusqu'à y entrer baïonnette au fusil. A ce stade de l'héroïsme, on ne discute pas le vocabulaire : alors ils ne déambulaient pas plus qu'ils ne cheminaient : ils marchaient. 

Ils ne marchandaient pas non plus la gloire : ils la désiraient au point d'en arriver à confondre le fait de se déplacer avec celui de faire la guerre.

En France.

L'esprit français est simple : il se contente de ce qu'on lui fait croire, même pour le faire marcher. Et ça marche, l'histoire l'a bien prouvé. Napoléon faisait beaucoup marcher son monde : jusqu'à 18 heures par jour pendant la campagne de Russie.

Et ils marchaient, marchaient, toujours à la solde d'un état en guerre, toujours guettant le moment de la solde, ceux qu'on nommait les soldats. C'était simple : «tu es soldat, alors tu marches. » En fait il n'est pas soldat, mais soldé, c'est un homme soldé, bradé, et il ne chemine pas, ah non alors : il marche.

Comment ça marche ?

Comme ça !


Montpellier Juillet 2000

samedi 28 décembre 2019

L'Armée française





Ce matin , au rassemblement, l’adjudant nous lit nos affectations.
Je suis muté à Fréjus !

Je suis militaire à Toulon depuis deux mois, appelé pour le service à la caserne Grignan, 4ème RiMA. Nous avons terminé les classes et ici personne ne reste à Toulon, c’est une caserne dédiée à la formation et ensuite on part en outre mer, ou bien en Allemagne. C’est comme ça.
Cet adjudant est une vraie teigne. Il m’a pris en grippe dès le début et m’a même précisé, un jour où j’avais dû lui tenir tête, qu’il avait déjà tué des humains et que je ne lui faisais pas peur, qu’un de plus à son actif ne le gênerait aucunement.

Le problème qui se pose à moi est énorme : nous sommes venus à Toulon, Claudie et moi, pour régler cette histoire d’armée. Nous attendons un enfant et il est hors de question qu’on nous sépare. Nous avons trouvé un petit studio dans un quartier tranquille et depuis le début de mon incorporation, j’ai rencontré l’assistante sociale de la caserne ainsi que le commandant responsable des affectations et ils ont compris ma situation et m’ont assuré d’y trouver une solution.
Je pensais même ne pas avoir à rester un seul jour sous les drapeaux, mais ça n’a pas marché et me voilà face à cette question : comment faire pour rester ici sans avoir à déserter?
Hors de question d’aller jouer les petits soldats à 100 kilomètres de ma famille naissante !

J’en parle à mon Capitaine qui me conseille d’aller en parler au Commandant responsable des affectations. J’y vais d’un pas décidé.
Quand mon tour arrive (nous sommes nombreux à vouloir lui parler) j’entre dans un long local bordé de gradés assis à leurs bureaux et, tout au fond, un bureau face à l’allée centrale : celui du Commandant.
Ma conversation n’a donc rien de privé puisque tous ces gradés entendent ce qui se dit. Le Commandant sait pourquoi je suis là et il me dit que le choix de Fréjus est un rapprochement de domicile, puisque j’habite Toulon et que Fréjus , à 100 kilomètres, est la caserne la plus proche de chez moi.
Je conteste en lui rappelant que j’avais demandé de rester à Toulon pour la naissance de mon enfant et il me dit que c’est impossible.
Je m’entends lui répondre en criant : « -Vous êtes un incapable ! »
Il blêmit…
Je sens dans mon dos les ricanements des témoins directs de cette scène, mais je reste debout, face à cet homme tout déconfit qui rajoute : « -J’y peux rien… allez voir le Colonel ! »
Et là, je tends la main vers son visage en criant : « OK, je vais voir le Colonel… et je vais lui parler de vous !! »
Et je quitte la scène en foudroyant du regard tous les gradés présents.
Personne ne m’arrête. Ni ne me parle. Je descend l’escalier, sors du bâtiment, et fonce vers le bâtiment de l’entrée de la caserne où se trouve le bureau du Colonel.

Au bureau d’accueil, on me signale que le Colonel est absent, qu’il ne rentrera que lundi mais que son second est là si c’est urgent. Je demande à le voir et au bout d’un petit quart d’heure, me voilà admis à entrer dans son bureau.
Le Commandant Foucard est un homme souriant, mais limité comme un militaire. Il commence par me moraliser en me sortant des insanités comme quoi depuis que je suis né et que j’ai deux couilles entre les jambes, je sais que je dois faire l’armée et que je ne dois pas aller engrosser… »
Son discours est insupportable et je le coupe : -  « Ma vie privée ne vous regarde pas, monsieur, je suis là pour trouver une solution à cette mutation et je ne sortirais pas d’ici sans avoir trouvé, sinon je déserte ! »

Il se tait. Et puis, cette phrase lui vient : «  Mais qu’est-ce que tu crois que je peux faire pour toi ? »
Il ne dit pas ça pour que je lui réponde, il dit ça comme une fin de non-recevoir, mais je saute sur l’occasion en le fixant droit dans les yeux la main droite sur mon épaule gauche :
« Vous avez cinq galons sur l’épaule, moi je n’en ai pas » puis la main tendue devant moi : « Vous avez un téléphone devant vous, moi non, »
« Vous appelez votre homologue à Fréjus et vous m’échangez avec un gars de Fréjus qui veut rester là bas ! »
_ « Mais tu crois que ça se passe comme ça à l’armée ? »
_ « Bien sûr que oui !
_ « Donnes moi des exemples ! »
_ « Dites, vous connaissez mieux que moi le fonctionnement de votre caserne, je vais pas jouer les délateurs ! »

Silence.
Un quart d’heure de silence ...et puis il me regarde tirant son téléphone vers lui… «  Tu as gagné ! »

Et il appèle son homologue de Fréjus sous mes yeux, sans même avoir la pudeur de me faire sortir. Il m’obéit !
Une fois raccroché il ajoute : « bon, maintenant, qu’est-ce que je fais de toi ? » à quoi je répond : « mettez moi où vous voulez, je ferais ce qu’on me dit de faire, je sais que je reste à Toulon , merci Commandant. »
Et je sors, victorieux.

Je passe le week end avec Claudie et le lundi matin, au rapport, l’adjudant braille
« Champagne, chez le Colonel ! »
Là , je n’en mène pas large. Cet homme a certainement appris mon comportement avec ses seconds, et il doit m’attendre de pied ferme. Mais j’ai appris à faire face et j’assumerais quoi qu’il se passe.
Le bureau du ‘vrai’ Colonel est d’un tout autre style. Je m’en aperçois en saluant le drapeau qui trône sur sa droite et que je dois saluer avant de saluer le Colonel (c’est la règle). Mais le Colonel me lance « laissez ça ! Asseyez vous , on doit parler. »
Je m’assied et il se lance dans une prose éloquente sur le rôle de l’armée en temps de paix, que les militaires peuvent avoir un grand rôle dans les catastrophes naturelles, et que le service est un apprentissage à la gestion efficace de l’aide aux sinistrés (il invente, on n’a eu aucune formation là dessus pendant ces deux mois de classe, seulement marcher au pas et tirer au fusil, expérimenter les masques à gaz et jouer à la guéguerre comme des jeunes louveteaux…)
Je me demande bien où il veut en venir…
Et alors il y vient :
« Ma femme et moi avons parlé de votre situation, nous avons eu cinq enfants et il nous reste plein de layette et de matériel pour nourrissons, alors si vous voulez en profiter, nous sommes disposés à vous en faire cadeau.

Et là, je me lève, je lui tend la main en lui disant : « Mon Colonel, je vous remercie, mais je ne veux rien avoir à faire avec l’armée Française. Je reste à Toulon, c’est ce que j’avais demandé, j’occuperais la place qu’on me trouvera, au revoir ! »
Et je sors !

J’apprends quelques jours plus tard que je suis affecté au téléphone, ce qui me vaudra au bout de quelques semaines d’aller travailler en ville, au bureau de garnison, où se trouve le central téléphonique de la place de Toulon, le mess des officiers et le logement du Colonel Marion et de sa famille.
Clotilde naîtra à cette période et Claudie viendra avec elle dans son landau chaque fois que j’y serai de permanence le week-end.
Et le Colonel ne manquera pas de venir faire un petit tour à mon central pour me saluer et admirer notre magnifique petite fille.
Son second prendra des nouvelles presque à chaque fois que je le croiserai dans la caserne.
La venue de Clotilde m’avait donc appris à exprimer mes besoins fondamentaux face à des gradés de haut niveau. Que j’avais traité sans ménagement, comme ils ont l’habitude.
En retour, j’ai eu droit à leur considération et à leur respect.

Merci ma fille !

mercredi 4 avril 2018

Catalogne


Courte visite en Espagne Catalane.


Du carnaval en veux-tu, en voilà. Des spectacles, des tours de villes, du maquillage, des danses, de la musique et encore de la musique, des jeunes mariés qui sourient , du bruit dans une salle de restaurant pleine à craquer. Les serveurs ne savent pas où donner de l'assiette, mais tout se passe pour le mieux et petit à petit chacun se trouve envahi par l'abondance outrancière du prêt-à-manger Catalan : et de ceci, et de celà, et encore ceci, et du champagne et du vin et du café et du whisky et des desserts et de la glace et des cigares et encore des discours sans contenus, simples allusions catalanes à des faits catalans, et tout le monde rit, tout va bien, ils sont content, là, à trois cent dans leur restaurant de la montagne, avec effectivement des montagnes aux fenêtres, oui on les voit bien, mais on a pas le temps, il y a les enfants qui réclament, les vieux qui rient, les jeunes qui trinquent à la table d'en face, et qui fument et qui rient tout ça en catalan, c'est incroyable ce qu'un catalan peut faire de son catalan ...

Et puis en regardant bien, il y a les taiseux, ceux qui écoutent en catalan, qui comprennent que dans tout ce bruit c'est aussi l'âme d'un peuple qui s'exprime, une âme encore enfant, jeune et solide comme les murs qu'ils bâtissent, les murs en pierre catalane, avec les voûtes robustes, les arcs plein cintre en briques ou en pierres rayonnantes, si belles qu'on les croit poussées là, vestiges d'une époque où les pierres poussaient et fleurissaient en bouquet parfait, juste pour le besoin d'une porte silencieuse en mal d'aspirer des gens qui rentrent se mettre à l'abri du vent catalan de l'hiver et de les ranger au chaud d'une grande cheminée pleine d'histoires aux accents rocailleux fraîchement rentrés de la montagne, histoires de bergers, histoires d'aventures à la limite du réel, histoires toutes teintées du feu des braises qui les réchauffe, et celui qui raconte veut ses paroles mouvantes et belles, et qu'elles réchauffent les esprits qui les entendent, par le rire ou bien l'étonnement, et c'est pour cette raison qu'ils n'ont pas bâti leurs murs trop haut, les maçons catalans.

Car les histoires se perdent dans des plafonds trop élevés, et on ne sait plus ce qu'on doit retenir, ou bien croire. Non, eux ils ont tout à fait compris qu'une histoire digne de ce nom doit être entendue la tête légèrement penchée, les yeux prêts à vivre l'intensité de l'action au moindre changement de ton, la peur au ventre et la joie au coeur, et le plafond bas les aide à garder la tête juste à la bonne position, et les murs épais les aide à oublier le reste, tout ce qui n'appartient pas à l'histoire, parce que l'histoire fait déjà partie de leurs rêves, et qu'il y a le feu, et que le feu et le rêve aiment à se retrouver pour forger les âmes simples, celles qui se nourrissent d'histoires de la montagne.

Et celui qui raconte est encore là haut, et ses lèvres tremblent encore de dire tout ce qu'il a vu des arbres, du vent et de la nuit et des bêtes qui l'ont surpris lorsqu'il cherchait à s'endormir dans son coin de cabane. Alors il met un peu du bruit du vent, un peu du bruit des arbres, et de celui des bêtes, et sa frayeur est là, aussi, au milieu de ses mots et de ceux qui l'entendent, et même on y perçoit le bruit d'un ruisseau qui coule au milieu des rocailles, et qui couvre une partie de l'histoire, et peu à peu ceux qui écoutent perdent le fil des mots, car l'eau les attire et leurs yeux se mettent à cligner, et c'est le signal qu'attendait leurs rêves pour se faufiler et tisser la suite catalane de ce que le feu gardera au précieux de ses braises, de ce qu'au petit matin ils verront en retournant les cendres, en y retrouvant les petits bouts rougeoyants qui leurs serviront à ranimer la chaleur de la pièce avant de repartir dans le ciel du matin encore tout étoilé de la nuit qui se perd au fond d'une vallée encore endormie.


Dimanche 10 Février 2002





dimanche 25 mars 2018

Les cinq




le Tétraèdre : division  de la sphère en 4
L'hexaèdre, ou cube : division de la sphère en 6 parties égales

l'octaèdre : division de la sphère en 8 parties égales
division en 12 de la sphère
Dodécaèdre : division de la sphère en 12 parties égales
l'icosaèdre : division de la sphère en 20 parties égales

jeudi 13 juillet 2017

Jardin



Jardin


Donnez moi un jardin loin des bruits de la ville

Loin de l'indifférence


Donnez moi un jardin qui vibre sous mes pieds

Qui rythme doucement

La venue des amis, des jours et des saisons

De l'aube au crépuscule


Un jardin plein d'oiseaux où les fleurs m'instruiront

Sur la féminité



Il y aura de l'eau, du soleil et du vent

Et la terre dans mes mains

Livrera ses secrets sur la rondeur des fruits



Je m'y rendrai la nuit

Je deviendrai sorcier et mes yeux étonnés

S'ouvriront peu à peu

Comme germe le blé, sans un bruit, sans un mot,



Juste par amitié

dimanche 12 juin 2016

L'Autre Sommet Économique de Paris


  L'Autre Sommet Économique de Paris


Ce même été 1989 (voir la "déclaration des Responsabilités..." plus haut) 
avait lieu à Paris un sommet des chefs d'état des 7 pays les plus riches de la planète. Simultanément avait été organisé « l'Autre Sommet Économique », « The Other Economic Summit », TOES 89, regroupant les représentants de sept pays parmi les plus pauvres de la même planète..



Je retranscis ici cette lettre ouverte, que j'avais publié à l'époque, suivie de la déclaration finale rédigée le 15 Juillet 89



  
 (Trois mille personnes étaient présentes à la Mutualité et à Jussieu (Paris) pour participer à « l'Autre Sommet  89»)



Lettre ouverte aux chefs d’État du Sommet des Sept

Madame, Messieurs les chefs d’État et de Gouvernement,
Vous vous réunissez cette année à Paris pour votre sommet annuel à la date symbolique du 14 Juillet 1989. La Révolution français a montré aux peuples que les institutions n'étaient pas immuables, que l'avenir était ouvert et qu'il pouvait être façonné selon des idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Nous pensons que la solennité du moment demande que votre rencontre aille au delà de la discussion des affaires courantes et traite des problèmes affligeant l'humanité dont la solution exige un consensus international.

Le plus grave de ces problèmes, c'est la survie de l'humanité et de votre planète. Aujourd'hui, l'holocauste nucléaire et des processus irréversibles de dégradation écologiques menacent l'avenir. Toute aussi urgente est la question sociale : dans le tiers monde, la misère, la faim et les épidémies frappent des centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants. La répartition de la richesse est de plus en plus inégale et les phénomènes massifs d'exclusion sévissent dans des pays aussi riches que les vôtres.

L'élimination de ces menaces passe par l'instauration d'un système de sécurité aux volets multiples : sécurité écologique, alimentaire et sociale, détente internationale ; sans oublier la protection contre les risques majeurs d'accidents, qu'ils soient naturels ou provoqués par l 'activité humaine. Elle demande aussi la réforme des institutions de régulation de l'économùie internationale et la mise en place d'un dispositif de gestion de l'environnement global du vaisseau Terre, soumis au triple critère de prudence écologique, d'utilité sociale et d'efficacité économique.

Un changement complet s'impose donc dans les modes de développement et dans les rapports entre les pays riches et les pays du tiers monde.

Nous pensons que la solution à ces problèmes passe par l'examen approfondi des dix points suivants, explicités dans le mémorandum joint à cette lettre : la planète en danger ; l'économie d'endettement ; les règles du jeu du commerce international ; la situation faite aux femmes ; les populations marginalisées ; la coordination face aux fléaux ; l'avenir de la vie, la révolution technologique ; les migrations de populations ; la paix et le désarmement.

Les questions que nous venons de soulever ne pourront pas être résolues du jour au lendemain. Nous n'attendons pas de vous des réponses immédiates. Par contre, nous pensons qu'il est impératif de définir un échéancier de négociations pour rechercher le consensus international nécessaire à un progrès décisif vers un monde moins menacé et moins déchiré par les inégalités.

Cependant, ces questions sont beaucoup trop sérieuses pour être traitées dans le secret des tractations diplomatiques. Dans sa charte, l'Organisation des Nations Unies se veut une organisation des peuples : dans les faits, elle fonctionne comme un organisme de gouvernements. C'est pourquoi nous affirmons qu'un large débat démocratique est indispensable : les représentants des sociétés civiles doivent y être impliqués à toutes les étapes, et les gouvernements doivent à tout moment rendre compte aux citoyens de leurs actes.

Nous attendons donc de votre sommet de Paris qu'il se conclue sur une double proposition : celle d'un échéancier de négociations sur les grands problèmes mondiaux évoqués, et celle d'une procédure de consultation démocratique des opinions publiques.

Dans cette perspective, nous saluons toutes les initiatives émanant des personnes et des groupes visant à résoudre collectivement ces grands problèmes. Nous saluons en particulier l'Autre Sommet Economique / The Other Economic Summit « TOES 89 », qui se tiendra à Paris à l'occasion de votre sommet officiel.




Déclaration Finale de L'Autre Sommet de Paris

« C’est à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française que des témoins de sept pays parmi les plus appauvris du monde, tout comme les sept pays les plus riches, sont réunis à Paris. Les uns et les autres tirent leur légitimité de cet événement historique, mais ces légitimités sont opposées. Car si la Révolution française a élargi le champ du capitalisme moderne, elle a en même temps proclamé les principes de liberté et d’égalité comme fondement du droit des pauvres à lutter contre la misère et l’oppression.
Deux cents ans après la prise de la Bastille par les plus pauvres des parisiens, la contradiction entre les riches et les pauvres ; entre les puissants et les marginalisés, est devenue mondiale. Les inégalités de revenus s’aggravent, et donc les inégalités de revenus dans les capacités de développement. L’exercice de la démocratie n’est souvent que fictif, là où celle-ci est constitutionnellement reconnue, tandis que violence et répression prévalent dans la plus grande partie du monde.
Telle est la contradiction Nord-Sud, qui est potentiellement la plus dangereuse pour l’avenir. Le développement des sept grandes puissances modernes s’est surtout construit sur l’exploitation et la désagrégation d’une large partie du monde, à laquelle ces sept riches imposent leur technologie, leur type de civilisation, leur modèle de consommation.

C’est pourquoi, nous fondant sur la déclaration universelle des droits des peuples, proclamée le 4 juillet 1976 à Alger, nous déclarons solennellement que nous contestons aux « Grands » de la terre le droit de confisquer aujourd’hui le message de la Révolution française. En ce jour de fête de la liberté, nous considérons comme hypocrite et même suicidaire, de parler de justice et de bien être, alors même que le monde s’enfonce dans l’inégalité et que les peuples sont massivement marginalisés.
Nous, citoyens des sept peuples parmi les plus pauvres du monde, nous sommes pleinement conscients qu’une telle situation est une menace pour le destin de tous, riches et pauvres. Nous savons que les énergies et les ressources existent pour mettre fin à ce divorce tragique entre l’égalité et la liberté. Nous avons voulu être présents en ces journées de célébration du bicentenaire, en même temps que les sept plus riches. Nous refusons à ces sept le droit de parler seuls au nom du monde entier et de décider pour l’ensemble de l’humanité. Les sept riches discutent des problèmes du monde en fonction de leurs intérêts, mais leurs décisions ont un impact direct sur tous les autres peuples alors même que ceux-ci ont été exclus des processus de prise de décision bien qu’ils soient les premiers concernés.
On célèbre en ce jour le principe d’égalité, mais il est contredit de façon éclatante par le système international qui associe le droit de décision à la richesse. Nous refusons qu’on vienne nous prêcher la démocratie en feignant d’ignorer la façon dont est organisée la société internationale.
Ce problème de démocratie internationale est d’autant plus impérieux que les processus d’internationalisation technico-économique créent une situation d’interdépendance à laquelle aucun peuple, même le plus isolé, ne peut se soustraire. Les pays, même formellement souverains, perdent de plus en plus leur pouvoir de détermination autonome. Des choix faits à Tokyo ou à Londres, à New York ou à Francfort, comptent beaucoup plus que ceux qui sont faits dans leur propre capitale. Telle est l’ambiguïté de cette interdépendance aujourd’hui présentée comme positive. Aucun peuple ne peut ignorer le destin des autres et s’en abstraire, mais ce destin est déterminé par une petite poignée de riches et de puissants. Rappelons seulement que, dans la dernière décennie, les décisions relatives aux mécanismes monétaires mondiaux, à la gestion de la dette internationale, à la balance commerciale monétaire planétaire, aux normes de performance technologique, ont été prises dans le cadre des Sommets annuels des sept riches.


Nous dénonçons le monopole décisionnel des riches, par principe, en raison de son caractère anti-démocratique, mais tout autant du fait de ses conséquences concrètes. Les riches veulent que le système redémarre, que le profit soit restauré ; ils imposent aux pauvres de ne pas entraver cette « reprise » même si elle aggrave les inégalités ; ils affirment que les plus pauvres y trouveraient eux aussi leur avantage à terme, grâce au succès des plus forts. Il est vrai que le système a produit des richesses sans équivalent dans l’histoire. Mais il a aussi produit une pauvreté et des souffrances sans précédent Le décalage direct est déjà insupportable, puisque dans les pays pauvres, le revenu par tête est le centième de celui des pays riches, et que l’écart se creuse. « Il y a plus de gens souffrant aujourd’hui de la faim dans le monde que jamais auparavant dans l’histoire humaine, et leur nombre augmente » déclare ta Commission mondiale sur l’environnement et le développement, à travers le rapport Brundtland. Un rapport de la Banque mondiale estime de son côté que le nombre de gens vivant dans les taudis et les bidonvilles non seulement ne décroît pas, mais augmente.
La pauvreté du monde n’est donc pas une pauvreté résiduelle que la modernisation globale pourrait peu à peu réduire. C’est plutôt une pauvreté moderne issue de cette modernité sélective. « L’unification » du monde ne s’effectue pas par homogénéisation mais par exclusion, à l’échelle mondiale comme à l’intérieur même des sociétés riches.
Ce qu’on nous présente comme un processus lent mais graduel de progrès conduit en réa- lité à la possibilité très réelle d’une catastrophe. On ne peut pas rejeter dans la misère les deux-tiers de l’humanité sans s’attendre à des violences et à des bouleversements. La prétention du Fonds monétaire international à « ajuster » les sociétés les plus pauvres aux mécanismes de fer des plus riches, a déjà engendré les révoltes du pain, qui ravagent de grandes villes « modernes » comme Caracas, Santo Domingo, des masses urbaines déséquilibrées par la modernité comme Alger ou Le Caire.
La nouvelle pauvreté de masse ne peut que mener vers des phénomènes de régression et de dégénérescence qui, non seulement dans le tiers monde mais au Nord, ouvrent la voie à une spirale de répression et de guerre.
Espérer « traiter » tous ces problèmes par les outils traditionnels de l’aide et de l’assistance comme le fait le groupe des sept riches, donc refuser de remettre en cause au Nord le principe même du modèle de développe- ment et des façons de vivre, de produire, de consommer et de penser, est non seulement cynique mais aveugle et insensé.
La réalité impose aux riches comme aux pauvres de reconsidérer le rapport linéaire entre bien-être et développement. C’est d’autant plus évident que la détérioration de l’environnement souligne l’impossibilité d’étendre à l’ensemble de la terre le modèle dominant Un darwinisme féroce, dans le Nord comme dans le Sud, tente de repousser la plus grande partie de l’humanité en dessous du seuil de la survie, de la priver même de biens jusqu’ici considérés comme le patrimoine inaliénable de tous les êtres vivants, tels l’air et l’eau, tandis que les privilégiés se contraindraient à s’enfermer dans des enclaves fortifiées issues de leur propre système.
Si nous mettons en cause la stratégie des riches, ce n’est pas seulement au nom des pauvres de la terre, mais de l ’humanité tout entière. Au titre de l’article 15 de la Déclaration des droits de l ’homme de 1789, qui pose le droit des citoyens à demander à tout administrateur public des comptes sur sa gestion, nous mettons en cause la prétention de ceux qui gèrent le monde à continuer à dicter leur loi.
Nous proposons que dans l’avenir, chaque Sommet annuel des sept pays riches soit l’occasion pour des pays parmi les plus pauvres de faire entendre leur voix.
Nous exigeons en tout premier lieu la remise de la dette des pays du tiers monde. Nous voulons que soit posée la question de la légitimité de la dette. Cette dette exprime l’intégration forcée au système économique et financier mondial. La crise de la dette est la conséquence d’une stratégie dont nous n’avons pas fait le choix.
Appuyant le jugement du Tribunal des Peuples qui s’est tenu à Berlin en 1988 sur la dette internationale, nous demandons au Secrétaire général des Nations-Unies :
  • De réunir d’urgence une conférence extraordinaire de tous les pays créanciers et de tous les pays débiteurs, pour trouver une solution politique et non plus seulement comptable, et définir les conditions d’application de la remise de la dette.
  • Au-delà de ces mesures, de considérer comme urgente la réunion sous les auspices des Nations-Unies d’une conférence internationale capable de réviser radicalement les règles régissant les institutions financières et économiques internationales, règles établies il y a plus d’un demi-siècle, et qui ignorent la réalité propre du tiers monde.
  • D’interdire l’usage des prêts internationaux pour les achats d’armes ; de saisir l’occasion offerte par les négociations sur le désarme- ment pour que les économies réalisées soient affectées à des transferts en faveur du développement des peuples.
  • Que soit étudiée la mise en place d’un système de contrôle de la consommation d’énergie, capable de décourager le développement des modes de production et de consommation qui se sont révélés destructeurs de la nature et des sociétés.
  • Nous nous proposons de mettre en place un groupe d’évaluation indépendant qui étudierait systématiquement les décisions prises par les 7 riches et les politiques qu’ils mettent en œuvre. Ce travail évaluerait les conséquences de ces décisions sur les conditions de vie des peuples et plus particulièrement des plus pauvres.
  • Nous sommes convaincus qu’une révision radicale du modèle de développement que le Nord impose au Sud est indispensable, et cela dans l’intérêt du Nord et pas seulement du Sud. Tout modèle de développement doit : être respectueux de la dignité humaine, des libertés politiques, de l’environnement, de l’identité, des valeurs et des besoins fondamentaux des différents peuples ; garantir aux femmes les mêmes opportunités économiques et sociales qu’aux hommes ; conduire à une répartition équitable des ressources et des pouvoirs de décision dans tous les domaines.
  • Nous refusons la charité pour des millions d’êtres humains qui luttent pour leur dignité. Notre légitimité se trouve dans cette lutte. Elle est de même nature que celle qui a conduit de la prise de la Bastille à la Déclaration des Droits de l ’Homme. Nous voulons une démocratisation des instances de pouvoir.
L’irruption des pauvres sur la place de la Bastille il y a deux cents ans affirmait l’impérieuse nécessité de transformer radicalement le système politique français. L’irruption des pays et peuples les plus pauvres sur la scène mondiale affirme aujourd’hui l’impérieuse nécessité de transformer radicalement le système économique et politique international, de façon que les décisions engageant l’humanité entière soient effectivement prises, non plus par une petite minorité de pays riches, mais de concert avec l’ensemble des peuples du monde. »