mercredi 4 avril 2018

Catalogne


Courte visite en Espagne Catalane.


Du carnaval en veux-tu, en voilà. Des spectacles, des tours de villes, du maquillage, des danses, de la musique et encore de la musique, des jeunes mariés qui sourient , du bruit dans une salle de restaurant pleine à craquer. Les serveurs ne savent pas où donner de l'assiette, mais tout se passe pour le mieux et petit à petit chacun se trouve envahi par l'abondance outrancière du prêt-à-manger Catalan : et de ceci, et de celà, et encore ceci, et du champagne et du vin et du café et du whisky et des desserts et de la glace et des cigares et encore des discours sans contenus, simples allusions catalanes à des faits catalans, et tout le monde rit, tout va bien, ils sont content, là, à trois cent dans leur restaurant de la montagne, avec effectivement des montagnes aux fenêtres, oui on les voit bien, mais on a pas le temps, il y a les enfants qui réclament, les vieux qui rient, les jeunes qui trinquent à la table d'en face, et qui fument et qui rient tout ça en catalan, c'est incroyable ce qu'un catalan peut faire de son catalan ...

Et puis en regardant bien, il y a les taiseux, ceux qui écoutent en catalan, qui comprennent que dans tout ce bruit c'est aussi l'âme d'un peuple qui s'exprime, une âme encore enfant, jeune et solide comme les murs qu'ils bâtissent, les murs en pierre catalane, avec les voûtes robustes, les arcs plein cintre en briques ou en pierres rayonnantes, si belles qu'on les croit poussées là, vestiges d'une époque où les pierres poussaient et fleurissaient en bouquet parfait, juste pour le besoin d'une porte silencieuse en mal d'aspirer des gens qui rentrent se mettre à l'abri du vent catalan de l'hiver et de les ranger au chaud d'une grande cheminée pleine d'histoires aux accents rocailleux fraîchement rentrés de la montagne, histoires de bergers, histoires d'aventures à la limite du réel, histoires toutes teintées du feu des braises qui les réchauffe, et celui qui raconte veut ses paroles mouvantes et belles, et qu'elles réchauffent les esprits qui les entendent, par le rire ou bien l'étonnement, et c'est pour cette raison qu'ils n'ont pas bâti leurs murs trop haut, les maçons catalans.

Car les histoires se perdent dans des plafonds trop élevés, et on ne sait plus ce qu'on doit retenir, ou bien croire. Non, eux ils ont tout à fait compris qu'une histoire digne de ce nom doit être entendue la tête légèrement penchée, les yeux prêts à vivre l'intensité de l'action au moindre changement de ton, la peur au ventre et la joie au coeur, et le plafond bas les aide à garder la tête juste à la bonne position, et les murs épais les aide à oublier le reste, tout ce qui n'appartient pas à l'histoire, parce que l'histoire fait déjà partie de leurs rêves, et qu'il y a le feu, et que le feu et le rêve aiment à se retrouver pour forger les âmes simples, celles qui se nourrissent d'histoires de la montagne.

Et celui qui raconte est encore là haut, et ses lèvres tremblent encore de dire tout ce qu'il a vu des arbres, du vent et de la nuit et des bêtes qui l'ont surpris lorsqu'il cherchait à s'endormir dans son coin de cabane. Alors il met un peu du bruit du vent, un peu du bruit des arbres, et de celui des bêtes, et sa frayeur est là, aussi, au milieu de ses mots et de ceux qui l'entendent, et même on y perçoit le bruit d'un ruisseau qui coule au milieu des rocailles, et qui couvre une partie de l'histoire, et peu à peu ceux qui écoutent perdent le fil des mots, car l'eau les attire et leurs yeux se mettent à cligner, et c'est le signal qu'attendait leurs rêves pour se faufiler et tisser la suite catalane de ce que le feu gardera au précieux de ses braises, de ce qu'au petit matin ils verront en retournant les cendres, en y retrouvant les petits bouts rougeoyants qui leurs serviront à ranimer la chaleur de la pièce avant de repartir dans le ciel du matin encore tout étoilé de la nuit qui se perd au fond d'une vallée encore endormie.


Dimanche 10 Février 2002





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