Courte
visite en Espagne Catalane.
Du
carnaval en veux-tu, en voilà. Des spectacles, des tours de villes,
du maquillage, des danses, de la musique et encore de la musique, des
jeunes mariés qui sourient , du bruit dans une salle de restaurant
pleine à craquer. Les serveurs ne savent pas où donner de
l'assiette, mais tout se passe pour le mieux et petit à petit chacun
se trouve envahi par l'abondance outrancière du prêt-à-manger
Catalan : et de ceci, et de celà, et encore ceci, et du champagne et
du vin et du café et du whisky et des desserts et de la glace et des
cigares et encore des discours sans contenus, simples allusions
catalanes à des faits catalans, et tout le monde rit, tout va bien,
ils sont content, là, à trois cent dans leur restaurant de la
montagne, avec effectivement des montagnes aux fenêtres, oui on les
voit bien, mais on a pas le temps, il y a les enfants qui réclament,
les vieux qui rient, les jeunes qui trinquent à la table d'en face,
et qui fument et qui rient tout ça en catalan, c'est incroyable ce
qu'un catalan peut faire de son catalan ...
Et
puis en regardant bien, il y a les taiseux, ceux qui écoutent en
catalan, qui comprennent que dans tout ce bruit c'est aussi l'âme
d'un peuple qui s'exprime, une âme encore enfant, jeune et solide
comme les murs qu'ils bâtissent, les murs en pierre catalane, avec
les voûtes robustes, les arcs plein cintre en briques ou en pierres
rayonnantes, si belles qu'on les croit poussées là, vestiges d'une
époque où les pierres poussaient et fleurissaient en bouquet
parfait, juste pour le besoin d'une porte silencieuse en mal
d'aspirer des gens qui rentrent se mettre à l'abri du vent catalan
de l'hiver et de les ranger au chaud d'une grande cheminée pleine
d'histoires aux accents rocailleux fraîchement rentrés de la
montagne, histoires de bergers, histoires d'aventures à la limite du
réel, histoires toutes teintées du feu des braises qui les
réchauffe, et celui qui raconte veut ses paroles mouvantes et
belles, et qu'elles réchauffent les esprits qui les entendent, par
le rire ou bien l'étonnement, et c'est pour cette raison qu'ils
n'ont pas bâti leurs murs trop haut, les maçons catalans.
Car
les histoires se perdent dans des plafonds trop élevés, et on ne
sait plus ce qu'on doit retenir, ou bien croire. Non, eux ils ont
tout à fait compris qu'une histoire digne de ce nom doit être
entendue la tête légèrement penchée, les yeux prêts à vivre
l'intensité de l'action au moindre changement de ton, la peur au
ventre et la joie au coeur, et le plafond bas les aide à garder la
tête juste à la bonne position, et les murs épais les aide à
oublier le reste, tout ce qui n'appartient pas à l'histoire, parce
que l'histoire fait déjà partie de leurs rêves, et qu'il y a le
feu, et que le feu et le rêve aiment à se retrouver pour forger les
âmes simples, celles qui se nourrissent d'histoires de la montagne.
Et
celui qui raconte est encore là haut, et ses lèvres tremblent
encore de dire tout ce qu'il a vu des arbres, du vent et de la nuit
et des bêtes qui l'ont surpris lorsqu'il cherchait à s'endormir
dans son coin de cabane. Alors il met un peu du bruit du vent, un peu
du bruit des arbres, et de celui des bêtes, et sa frayeur est là,
aussi, au milieu de ses mots et de ceux qui l'entendent, et même on
y perçoit le bruit d'un ruisseau qui coule au milieu des rocailles,
et qui couvre une partie de l'histoire, et peu à peu ceux qui
écoutent perdent le fil des mots, car l'eau les attire et leurs yeux
se mettent à cligner, et c'est le signal qu'attendait leurs rêves
pour se faufiler et tisser la suite catalane de ce que le feu gardera
au précieux de ses braises, de ce qu'au petit matin ils verront en
retournant les cendres, en y retrouvant les petits bouts rougeoyants
qui leurs serviront à ranimer la chaleur de la pièce avant de
repartir dans le ciel du matin encore tout étoilé de la nuit qui se
perd au fond d'une vallée encore endormie.
Dimanche
10 Février 2002