Tout ce que fait le pouvoir de l'Univers se fait dans un cercle. Le ciel est rond et j'ai entendu dire que la terre est ronde comme une balle et que toutes les étoiles le sont aussi. Les oiseaux font leur nid en cercle parce qu'ils ont la même religion que nous. Le soleil s'élève et redescend dans un cercle, la lune fait de même, et tous deux sont rond. Hehaka Sapa

dimanche 12 juin 2016

L'Autre Sommet Économique de Paris


  L'Autre Sommet Économique de Paris


Ce même été 1989 (voir la "déclaration des Responsabilités..." plus haut) 
avait lieu à Paris un sommet des chefs d'état des 7 pays les plus riches de la planète. Simultanément avait été organisé « l'Autre Sommet Économique », « The Other Economic Summit », TOES 89, regroupant les représentants de sept pays parmi les plus pauvres de la même planète..



Je retranscis ici cette lettre ouverte, que j'avais publié à l'époque, suivie de la déclaration finale rédigée le 15 Juillet 89



  
 (Trois mille personnes étaient présentes à la Mutualité et à Jussieu (Paris) pour participer à « l'Autre Sommet  89»)



Lettre ouverte aux chefs d’État du Sommet des Sept

Madame, Messieurs les chefs d’État et de Gouvernement,
Vous vous réunissez cette année à Paris pour votre sommet annuel à la date symbolique du 14 Juillet 1989. La Révolution français a montré aux peuples que les institutions n'étaient pas immuables, que l'avenir était ouvert et qu'il pouvait être façonné selon des idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Nous pensons que la solennité du moment demande que votre rencontre aille au delà de la discussion des affaires courantes et traite des problèmes affligeant l'humanité dont la solution exige un consensus international.

Le plus grave de ces problèmes, c'est la survie de l'humanité et de votre planète. Aujourd'hui, l'holocauste nucléaire et des processus irréversibles de dégradation écologiques menacent l'avenir. Toute aussi urgente est la question sociale : dans le tiers monde, la misère, la faim et les épidémies frappent des centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants. La répartition de la richesse est de plus en plus inégale et les phénomènes massifs d'exclusion sévissent dans des pays aussi riches que les vôtres.

L'élimination de ces menaces passe par l'instauration d'un système de sécurité aux volets multiples : sécurité écologique, alimentaire et sociale, détente internationale ; sans oublier la protection contre les risques majeurs d'accidents, qu'ils soient naturels ou provoqués par l 'activité humaine. Elle demande aussi la réforme des institutions de régulation de l'économùie internationale et la mise en place d'un dispositif de gestion de l'environnement global du vaisseau Terre, soumis au triple critère de prudence écologique, d'utilité sociale et d'efficacité économique.

Un changement complet s'impose donc dans les modes de développement et dans les rapports entre les pays riches et les pays du tiers monde.

Nous pensons que la solution à ces problèmes passe par l'examen approfondi des dix points suivants, explicités dans le mémorandum joint à cette lettre : la planète en danger ; l'économie d'endettement ; les règles du jeu du commerce international ; la situation faite aux femmes ; les populations marginalisées ; la coordination face aux fléaux ; l'avenir de la vie, la révolution technologique ; les migrations de populations ; la paix et le désarmement.

Les questions que nous venons de soulever ne pourront pas être résolues du jour au lendemain. Nous n'attendons pas de vous des réponses immédiates. Par contre, nous pensons qu'il est impératif de définir un échéancier de négociations pour rechercher le consensus international nécessaire à un progrès décisif vers un monde moins menacé et moins déchiré par les inégalités.

Cependant, ces questions sont beaucoup trop sérieuses pour être traitées dans le secret des tractations diplomatiques. Dans sa charte, l'Organisation des Nations Unies se veut une organisation des peuples : dans les faits, elle fonctionne comme un organisme de gouvernements. C'est pourquoi nous affirmons qu'un large débat démocratique est indispensable : les représentants des sociétés civiles doivent y être impliqués à toutes les étapes, et les gouvernements doivent à tout moment rendre compte aux citoyens de leurs actes.

Nous attendons donc de votre sommet de Paris qu'il se conclue sur une double proposition : celle d'un échéancier de négociations sur les grands problèmes mondiaux évoqués, et celle d'une procédure de consultation démocratique des opinions publiques.

Dans cette perspective, nous saluons toutes les initiatives émanant des personnes et des groupes visant à résoudre collectivement ces grands problèmes. Nous saluons en particulier l'Autre Sommet Economique / The Other Economic Summit « TOES 89 », qui se tiendra à Paris à l'occasion de votre sommet officiel.




Déclaration Finale de L'Autre Sommet de Paris

« C’est à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française que des témoins de sept pays parmi les plus appauvris du monde, tout comme les sept pays les plus riches, sont réunis à Paris. Les uns et les autres tirent leur légitimité de cet événement historique, mais ces légitimités sont opposées. Car si la Révolution française a élargi le champ du capitalisme moderne, elle a en même temps proclamé les principes de liberté et d’égalité comme fondement du droit des pauvres à lutter contre la misère et l’oppression.
Deux cents ans après la prise de la Bastille par les plus pauvres des parisiens, la contradiction entre les riches et les pauvres ; entre les puissants et les marginalisés, est devenue mondiale. Les inégalités de revenus s’aggravent, et donc les inégalités de revenus dans les capacités de développement. L’exercice de la démocratie n’est souvent que fictif, là où celle-ci est constitutionnellement reconnue, tandis que violence et répression prévalent dans la plus grande partie du monde.
Telle est la contradiction Nord-Sud, qui est potentiellement la plus dangereuse pour l’avenir. Le développement des sept grandes puissances modernes s’est surtout construit sur l’exploitation et la désagrégation d’une large partie du monde, à laquelle ces sept riches imposent leur technologie, leur type de civilisation, leur modèle de consommation.

C’est pourquoi, nous fondant sur la déclaration universelle des droits des peuples, proclamée le 4 juillet 1976 à Alger, nous déclarons solennellement que nous contestons aux « Grands » de la terre le droit de confisquer aujourd’hui le message de la Révolution française. En ce jour de fête de la liberté, nous considérons comme hypocrite et même suicidaire, de parler de justice et de bien être, alors même que le monde s’enfonce dans l’inégalité et que les peuples sont massivement marginalisés.
Nous, citoyens des sept peuples parmi les plus pauvres du monde, nous sommes pleinement conscients qu’une telle situation est une menace pour le destin de tous, riches et pauvres. Nous savons que les énergies et les ressources existent pour mettre fin à ce divorce tragique entre l’égalité et la liberté. Nous avons voulu être présents en ces journées de célébration du bicentenaire, en même temps que les sept plus riches. Nous refusons à ces sept le droit de parler seuls au nom du monde entier et de décider pour l’ensemble de l’humanité. Les sept riches discutent des problèmes du monde en fonction de leurs intérêts, mais leurs décisions ont un impact direct sur tous les autres peuples alors même que ceux-ci ont été exclus des processus de prise de décision bien qu’ils soient les premiers concernés.
On célèbre en ce jour le principe d’égalité, mais il est contredit de façon éclatante par le système international qui associe le droit de décision à la richesse. Nous refusons qu’on vienne nous prêcher la démocratie en feignant d’ignorer la façon dont est organisée la société internationale.
Ce problème de démocratie internationale est d’autant plus impérieux que les processus d’internationalisation technico-économique créent une situation d’interdépendance à laquelle aucun peuple, même le plus isolé, ne peut se soustraire. Les pays, même formellement souverains, perdent de plus en plus leur pouvoir de détermination autonome. Des choix faits à Tokyo ou à Londres, à New York ou à Francfort, comptent beaucoup plus que ceux qui sont faits dans leur propre capitale. Telle est l’ambiguïté de cette interdépendance aujourd’hui présentée comme positive. Aucun peuple ne peut ignorer le destin des autres et s’en abstraire, mais ce destin est déterminé par une petite poignée de riches et de puissants. Rappelons seulement que, dans la dernière décennie, les décisions relatives aux mécanismes monétaires mondiaux, à la gestion de la dette internationale, à la balance commerciale monétaire planétaire, aux normes de performance technologique, ont été prises dans le cadre des Sommets annuels des sept riches.


Nous dénonçons le monopole décisionnel des riches, par principe, en raison de son caractère anti-démocratique, mais tout autant du fait de ses conséquences concrètes. Les riches veulent que le système redémarre, que le profit soit restauré ; ils imposent aux pauvres de ne pas entraver cette « reprise » même si elle aggrave les inégalités ; ils affirment que les plus pauvres y trouveraient eux aussi leur avantage à terme, grâce au succès des plus forts. Il est vrai que le système a produit des richesses sans équivalent dans l’histoire. Mais il a aussi produit une pauvreté et des souffrances sans précédent Le décalage direct est déjà insupportable, puisque dans les pays pauvres, le revenu par tête est le centième de celui des pays riches, et que l’écart se creuse. « Il y a plus de gens souffrant aujourd’hui de la faim dans le monde que jamais auparavant dans l’histoire humaine, et leur nombre augmente » déclare ta Commission mondiale sur l’environnement et le développement, à travers le rapport Brundtland. Un rapport de la Banque mondiale estime de son côté que le nombre de gens vivant dans les taudis et les bidonvilles non seulement ne décroît pas, mais augmente.
La pauvreté du monde n’est donc pas une pauvreté résiduelle que la modernisation globale pourrait peu à peu réduire. C’est plutôt une pauvreté moderne issue de cette modernité sélective. « L’unification » du monde ne s’effectue pas par homogénéisation mais par exclusion, à l’échelle mondiale comme à l’intérieur même des sociétés riches.
Ce qu’on nous présente comme un processus lent mais graduel de progrès conduit en réa- lité à la possibilité très réelle d’une catastrophe. On ne peut pas rejeter dans la misère les deux-tiers de l’humanité sans s’attendre à des violences et à des bouleversements. La prétention du Fonds monétaire international à « ajuster » les sociétés les plus pauvres aux mécanismes de fer des plus riches, a déjà engendré les révoltes du pain, qui ravagent de grandes villes « modernes » comme Caracas, Santo Domingo, des masses urbaines déséquilibrées par la modernité comme Alger ou Le Caire.
La nouvelle pauvreté de masse ne peut que mener vers des phénomènes de régression et de dégénérescence qui, non seulement dans le tiers monde mais au Nord, ouvrent la voie à une spirale de répression et de guerre.
Espérer « traiter » tous ces problèmes par les outils traditionnels de l’aide et de l’assistance comme le fait le groupe des sept riches, donc refuser de remettre en cause au Nord le principe même du modèle de développe- ment et des façons de vivre, de produire, de consommer et de penser, est non seulement cynique mais aveugle et insensé.
La réalité impose aux riches comme aux pauvres de reconsidérer le rapport linéaire entre bien-être et développement. C’est d’autant plus évident que la détérioration de l’environnement souligne l’impossibilité d’étendre à l’ensemble de la terre le modèle dominant Un darwinisme féroce, dans le Nord comme dans le Sud, tente de repousser la plus grande partie de l’humanité en dessous du seuil de la survie, de la priver même de biens jusqu’ici considérés comme le patrimoine inaliénable de tous les êtres vivants, tels l’air et l’eau, tandis que les privilégiés se contraindraient à s’enfermer dans des enclaves fortifiées issues de leur propre système.
Si nous mettons en cause la stratégie des riches, ce n’est pas seulement au nom des pauvres de la terre, mais de l ’humanité tout entière. Au titre de l’article 15 de la Déclaration des droits de l ’homme de 1789, qui pose le droit des citoyens à demander à tout administrateur public des comptes sur sa gestion, nous mettons en cause la prétention de ceux qui gèrent le monde à continuer à dicter leur loi.
Nous proposons que dans l’avenir, chaque Sommet annuel des sept pays riches soit l’occasion pour des pays parmi les plus pauvres de faire entendre leur voix.
Nous exigeons en tout premier lieu la remise de la dette des pays du tiers monde. Nous voulons que soit posée la question de la légitimité de la dette. Cette dette exprime l’intégration forcée au système économique et financier mondial. La crise de la dette est la conséquence d’une stratégie dont nous n’avons pas fait le choix.
Appuyant le jugement du Tribunal des Peuples qui s’est tenu à Berlin en 1988 sur la dette internationale, nous demandons au Secrétaire général des Nations-Unies :
  • De réunir d’urgence une conférence extraordinaire de tous les pays créanciers et de tous les pays débiteurs, pour trouver une solution politique et non plus seulement comptable, et définir les conditions d’application de la remise de la dette.
  • Au-delà de ces mesures, de considérer comme urgente la réunion sous les auspices des Nations-Unies d’une conférence internationale capable de réviser radicalement les règles régissant les institutions financières et économiques internationales, règles établies il y a plus d’un demi-siècle, et qui ignorent la réalité propre du tiers monde.
  • D’interdire l’usage des prêts internationaux pour les achats d’armes ; de saisir l’occasion offerte par les négociations sur le désarme- ment pour que les économies réalisées soient affectées à des transferts en faveur du développement des peuples.
  • Que soit étudiée la mise en place d’un système de contrôle de la consommation d’énergie, capable de décourager le développement des modes de production et de consommation qui se sont révélés destructeurs de la nature et des sociétés.
  • Nous nous proposons de mettre en place un groupe d’évaluation indépendant qui étudierait systématiquement les décisions prises par les 7 riches et les politiques qu’ils mettent en œuvre. Ce travail évaluerait les conséquences de ces décisions sur les conditions de vie des peuples et plus particulièrement des plus pauvres.
  • Nous sommes convaincus qu’une révision radicale du modèle de développement que le Nord impose au Sud est indispensable, et cela dans l’intérêt du Nord et pas seulement du Sud. Tout modèle de développement doit : être respectueux de la dignité humaine, des libertés politiques, de l’environnement, de l’identité, des valeurs et des besoins fondamentaux des différents peuples ; garantir aux femmes les mêmes opportunités économiques et sociales qu’aux hommes ; conduire à une répartition équitable des ressources et des pouvoirs de décision dans tous les domaines.
  • Nous refusons la charité pour des millions d’êtres humains qui luttent pour leur dignité. Notre légitimité se trouve dans cette lutte. Elle est de même nature que celle qui a conduit de la prise de la Bastille à la Déclaration des Droits de l ’Homme. Nous voulons une démocratisation des instances de pouvoir.
L’irruption des pauvres sur la place de la Bastille il y a deux cents ans affirmait l’impérieuse nécessité de transformer radicalement le système politique français. L’irruption des pays et peuples les plus pauvres sur la scène mondiale affirme aujourd’hui l’impérieuse nécessité de transformer radicalement le système économique et politique international, de façon que les décisions engageant l’humanité entière soient effectivement prises, non plus par une petite minorité de pays riches, mais de concert avec l’ensemble des peuples du monde. »



jeudi 19 mai 2016

La déclaration des Responsabilités de l'Être Humain Pour la Paix et le Développement Supportable

En 1989, j'ai été invité à participer à une rencontre internationale à l'Université de la Paix au Costa-Rica. L'objectif de cette rencontre : rédiger une Déclaration des Responsabilités de L'être humain, qui soit le pendant de celle des Droits de l'Homme.

Cette déclaration a été rédigée, comme prévu, et la porte parole du Costa-Rica à l'ONU  l'a proposée lors d'une assemblée générale en vue de son adoption par la collectivité internationale. La Chine a opposé son droit de Véto, pour la simple raison que le Costa Rica, lors de cette rencontre, avait accueilli un homme dangereux pour l'intégrité du territoire chinois : le Dalaï Lama !

N'ayant pas eu le billet d'avion avec l'invitation, ce texte m'a été transmis par l'organisateur, Abelardo Brenes, en Espagnol et en Anglais.
Je l'ai traduit en Français et diffusé  autour de moi, voici 26 ans, et je le publie ici pour qu'il serve de base à une réflexion commune pour la mise en place d'une constitution digne de ce nom.

DÉCLARATION DES RESPONSABILITÉS DE L'ÊTRE HUMAIN POUR LA PAIX ET LE DÉVELOPPEMENT SUPPORTABLE

Chapitre 1
L'Unité du Monde

Article 1 : Tout ce qui existe est une partie d'un univers interdépendant. Tous les êtres vivants dépendent les uns des autres pour leur existence, leur bien-être et leur développement.

Article 2 : Tous les êtres humains appartiennent de façon inséparable à la nature, sur laquelle la culture et la civilisation humaine ont été construites.

Article 3 : La vie sur terre est abondante et diverse. Elle est soutenue par le fonctionnement ininterrompu de systèmes naturels qui assurent l'approvisionnement en énergie, en air, en eau, et en nourriture pour tous les êtres vivants. Chaque manifestation de vie sur terre est unique et nécessaire, le respect et l'attention lui sont donc dus quelque soit son apparente valeur auprès des êtres humains.

Chapitre II
L'Unité de la Famille Humaine

Article 4 : Tout être humain appartient de façon inséparable à la famille humaine et dépend d'un autre pour son existence, son bien être et son développement. Chaque être humain est une manifestation et une expression unique de vie et a sa propre contribution à amener au développement de la vie sur terre, indépendamment des différences de race, de couleur, de sexe, de langage, de religion, de politique ou d'autre opinion d'origine sociale ou nationale, économique ou autre statut. De plus, chacun est le bénéficiaire des droits et libertés fondamentaux et inaliénables.

Article 5: Tous les êtres humains ont les mêmes besoins de base et les mêmes aspirations fondamentales pour leur accomplissement. Tous les individus sont les bénéficiaires du droit au développement, qui cherche à promouvoir la réalisation du plein potentiel de chaque personne.

Chapitre III
Choix et Responsabilités des Êtres Humains

Article 6 : La responsabilité est un aspect inhérent à toute relation dans laquelle les humains sont impliqués. Cette capacité à agir de façon responsable, consciente, indépendante, unique et personnelle est une qualité créatrice, inaliénable de chaque être humain. Il n'y a aucune limite à son étendue ou profondeur, autre que celle que chaque personne établit pour elle-même. Plus elle est acceptée et exercée et plus elle croîtra et se renforcera.

Article 7 : De tous les êtres, les humains ont l'unique capacité de décider consciemment s'ils protègent ou endommagent la qualité et les conditions de la vie sur la terre. Par la réflexion à leur appartenance au monde naturel et à leur position spéciale de participants dans le déroulement des processus naturels, les individus peuvent développer un sens de responsabilité universelle envers le monde comme un tout, basé sur l'altruisme, la compassion et l'amour, pour la protection de la nature, la promotion des plus hauts potentiels d'évolution possibles, et pour la création de ces conditions qui permettent l'aboutissement du plus haut niveau de bien-être spirituel et matériel.

Article 8 : A ce point critique de l'histoire, les choix humains sont décisifs. En dirigeant leurs actions vers des progrès de société, les êtres humains ont souvent perdu de vue leur appartenance à la communauté naturelle et à l'indivisible famille humaine, ainsi qu'à leurs besoins de base pour une vie saine. La consommation excessive, l'abus de l'environnement et les agressions des gens ont transformé le processus naturel en une situation cruciale qui menace la survie de la terre. Réfléchissant à cela, les individus seront capables de discerner leur responsabilité et, sur cette base, de réorienter leur conduite envers la paix et le développement supportable.

Chapitre IV

Réorientation vers la Paix et le Développement Supportable


Article 9 : C 'est en reconnaissant que chaque forme de vie est unique et nécessaire que chaque personne est bénéficiaire du Droit au Développement, en reconnaissant que la Paix et la violence ont leur origine dans la conscience des êtres humains, qu'un sens conscient de responsabilité à agir et à penser d'une manière pacifique sera développée. Par cette conscience pacifique, les individus comprendront la nature des conditions nécessaires pour leur bien-être et leur développement.

Article 10 : Conscients de leur sens des responsabilités envers la famille humaine, l'environnement qu 'ils occupent, et la nécessité de penser et d'agir pacifiquement, les êtres humains s'engageront pour agir d'une manière qui soit conséquente à la fois avec l'observance et le respect des droits inhérents aux individus et avec la consommation des ressources qui est liée à la satisfaction des besoins de base de tous.

Article 11 : En reconnaissant que les membres de la famille humaine sont responsable d'eux-mêmes et de la conservation de la terre pour les générations présentes et à venir, comme protecteurs de la communauté naturelle et promoteurs d'un développement continu, toute personne s'engagera elle-même à agir de manière rationnelle de façon à obtenir une vie supportable et pérenne.

Article 12 : La responsabilité des êtres humains a toujours cours, soit qu'ils fassent partie ou représentent des groupes sociaux, des corporations ou des institutions privées ou publiques. De plus, toutes ces collectivités ont leur responsabilité dans la promotion de la paix et du développement supportable, aussi bien que dans la mise en pratique des objectifs d'éducation qui les concernent. Ces objectifs comportent l'éveil de la conscience à l'interdépendance parmi les êtres humains et entre les êtres humains et la nature, et la responsabilité universelle des individus à résoudre les problèmes actuels par des attitudes et des actions, d'une manière qui soit conforme à la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Puissions nous vivre le privilège de nos Responsabilités !

Pour plus d'informations, écrivez à Abelardo Brenes,
Université de la Paix
P.O ; Box 199-1250, Escazu, Costa-Rica



Note post traduction : La notion de Développement Supportable (sustainable development) a été traduite ailleurs de façon assez tendancieuse par «développement durable », ce qui n'est absolument pas le sens premier. Une chose peut être durable mais insupportable.
Une chose supportable ne l'est que pour un temps donné, et doit faire l'objet de constants réaménagements dans lesquels la conscience agit. J'y ai adjoint le mot : Pérenne.
La chose durable ne contient rien de tel. Une nuisance durable est inacceptable !

dimanche 24 janvier 2016

La Nuit


Depuis que notre petite planète bleue court autour de son étoile favorite avec ardeur et précision, un cône d'ombre la suit, perpétuel repère de stabilité.

La nuit est unique, autant que la terre est unique. 


Mais la terre dans sa danse entraîne les vivants à parcourir l'espace. Elle leur fait voir le jour, elle leur fait voir la nuit.


Les humains sont les seuls vivants qui ne se contentent pas de se laisser ainsi bercer. 


Ils ont décidé de compter, histoire de vérifier si la terre était fiable. 


On ne sait jamais.


Ils ont compté des jours, ils ont compté des nuits,
ignorant qu'une seule lumière inonde l'espace,
ignorant que la nuit est là juste pour les faire sombrer dans le sommeil.


Une ombre ne se nombre pas. 


C'est pourtant ce qu'ils ont fait durant des siècles. 
Et la nuit, bienveillante, a toujours pris soin d'eux.


L'ombre de la terre a toujours su ramener chaque être à sa nature profonde. 


A chaque tour du globe le fier humain se couche, s'abandonne à la nuit, 
oubliant même le pourquoi de sa stature verticale. 


Et le voilà revenu au stade primitif de la conscience. 


L'humain qui dort se laisse imprégner par les mystères  les plus profonds. 


Il laisse s'opérer en lui les changements nécessaires pour ré-affronter la lumière à son prochain passage.

La naïveté de l'humain est un phénomène rassurant.

Autant le jour il peut se croire fort, utile et puissant, autant la nuit, dans son sommeil il laisse toutes ses croyances pour se vouer à la seule nature qui le compose. 


Et c'est cette nature qui alors reprend le contrôle de l'individu, procède à la remise en état de ce qui a été provisoirement déconnecté du tout pendant le jour.

Laisse-toi faire, homme naïf, par la nuit, la seule nuit qui n'a jamais fait autre chose que de révéler ce 'pourquoi' dont elle est faite.


 Mais l'homme s'en fiche, il ne veut pas se laisser faire. 


Il veut connaître la nuit comme il croit connaître le jour. 


Il décide, il observe, il cherche à comprendre, il décide encore...

Il met ainsi en place un tel système de décryptage de la nuit que même les heures de jour ne suffisent plus à réunir ce qu'il croit avoir compris. 


Et il en est fier. 


Son système de croyances est devenu un monstre qui ne laisse plus la place à la nuit. 
Il se croit maître du temps. 
Il n'a pas encore compris que le temps n'existe que dans sa propre tête.


La nuit n'a pas de temps, elle est ombre qui protège les vivants.


Elle règne dans l'espace...

Car la planète la prive de cette lumière qui inonde tout ce qui existe...
Depuis la nuit des temps...

lundi 14 juillet 2014

L'Envol


L'Envol

1984 …
C'est la foire des potiers à Lagrasse, je suis venu avec Priscille pour jouer et faire la fête. Il y a là une foule de gens, beaucoup d'amis, et le soir Bratch en concert.
Nous croisons un autre duo violon/guitare : John et Pete. Des amis. Nous jouons ensemble.
John me montre ensuite quelques objets qu'il expose sur le stand de Philippe Isaac.
C'est du bronze.

Un peu étonné, je lui demande ce qui lui arrive, je connais John comme musicien, je connais aussi son engouement pour le métal. Un récupérateur qui imagine plein de choses, mais qui surtout entasse. Je préfère sa musique.
Mais il me parle de sa nouvelle passion avec une telle conviction...
Il n'a aucun équipement, peut-être un four à émaux et la bienveillance de Philippe et de son four de potier...
La fête une fois finie, je reprends mes chantiers et, dans les jours qui suivent, je fais du plâtre chez Bubuk, un ami breton installé depuis quelques années dans la région. Avec son frère André, ils étaient venus avec un projet de fabriquer des perçeuses à béton d'un genre totalement nouveau qui allait révolutionner le monde du bâtiment.
Nous nous étions connus à l'occasion du chantier de leurs deux maisons, et puis le projet ayant été ajourné, André était remonté sur Paris avec sa famille et Bubuk était resté avec la sienne.
Le métier qu'il faisait lui laissait cette liberté d'habiter un hameau perdu dans les corbières. Fondeur de formation, avec la spécialité fondeur de cloche, il était représentant en produits de fonderie pour le sud de la France et l'Afrique du nord.
« Sud de la France » voulait dire la moitié sud.
Et « Afrique du nord » pouvait aller loin dans le sahara...
Il me racontait ses tournées.
Comment au fin fond des Vosges il avait trouvé une petite fonderie artisanale perchée en haut d'une colline en voyant la fumée depuis la vallée. Il connaissait tout ce qui se fondait depuis la Loire jusqu'au Sahara.
Et il y participait avec entrain.
Passant quelques fois des nuits blanches dans le sud de l'Algérie pour aider à la mise en œuvre de blocs-moteurs en aluminium...
Il ne quittait pas un client sans avoir la certitude que tout allait bien fonctionner.

Un beau jour où nous mangions ensemble entre deux gâchées de plâtre, je lui parle de John et de son projet.
John vivait à l'époque dans une communauté assez marginale composée d'artistes, musiciens pour la plupart et Bubuk réagit instantanément en m'interdisant formellement d'amener chez lui qui que ce soit de ce style ( pas de hippies chez moi!).

Je lui fais alors remarquer qu'il m'accueille volontierset que je n'ai pas encoremis sa maison à sac !
Il rigole, mais reste ferme, comme un gos têtu de breton !

Et le temps passe...

Le temps qui œuvre lentement et décante subtilement les esprits par le rêve, pas celui des calendriers, non !
Et Oh, bien sûr, je pourrais calculer en demandant à Bénédicte à quelle époque elle a habité dans le gîte d'Anne et Étienne, mais ça ne changerait rien à l'histoire1.

Dans cet intervalle, je laisse à John le numéro de Bubuk, et réciproquement celui de John à Bubuk.

Un beau matin, donc, je suis monté voir ma sœur Bénédicte et j'aperçois John qui passe devant la maison. Je sors le saluer et lui demande s'ils ont réussi à s'appeler.
Il me dit non.
Je lui propose alors de le faire depuis le téléphone de Bénédicte et il est d'accord.
Bubuk répond aussitôt et je les laisse parler.
Ils prennent rendez-vous et c'est là que l'histoire commence !

Quand je revois Bubuk, il n'est plus questions de Hippies et de cambriolage. Il est enchanté. Il a trouvé un fondeur à moins de dix kilomètres de chez lui. Il a modifié son agenda pour être présent à chaque coulée de John.

John progresse à pas de géant. Le petit garage où il exerce son art devient trop étroit. Les commandes arrivent. Il s'installe alors dans une ancienne bergerie qu'il transforme en atelier. Il amène une roulotte qui lui sert de logement. Je lui rend visite à l'occasion, car
je n'habite plus la région. Je vois en cours d'élaboration une vierge commandée par la ville du Puy, en Auvergne. Elle sera scellée au sommet d'un pic en remplacement d'une trop vieille statue.

Le rond point d'entrée de Limoux se voit doté d'un somptueux masque de carnaval, une sculpture de Philippe Isaac, réalisée par John.
Un autre rond point accueille une grappe de raisin.


Un jour où nous nous trouvons au bar du marché d'Espéraza, John me montre la photo d'une maquette d'ours. C'est une commande du conseil général pour le rond point d'Axat, l'entrée dans la vallée des Ours.
Mais il hésite. Il ne gagnera rien, ou presque.
Je lui conseille de demander un « droit à l'image » sur les cartes postales qui risquent bien de se vendre aux touristes une fois son œuvre en place.
Il trouve que c'est une bonne idée, mais je ne saurais jamais si il l'a effectivement appliquée. Toujours est-il que le rond point en question est orné depuis bien longtemps maintenant, de trois ours magnifiques.

Encore une fois le temps passe et tout se transforme.

L'atelier et ancienne bergerie est vendu à Christian, un viticulteur. Celui-ci rencontre Bénédicte et ils transforment l'espace en maison. Magnifique maison face aux pyrénées dont ils honorent la vue en faisant vitrer l'intégralité de la façade sud. Christian connait bien John, et c'est dans son garage que John a commencé à fondre.

John a rencontré Louise et ils se lancent dans un projet plus vaste.

Sur les flancs de la Montagne Noire, le village de Montolieu a vécu ces années là une transformation d'envergure. L'idée est venue de Michel, un relieur carcassonnais. Vivant à Saissac, il traverse Montolieu quotidiennement et pense à un village de libraires. Il rassemble des gens autour de ce projet et invite un beau jour de 1989 le conseil municipal de Montolieu et une foule d'amis liés de près ou de loin au livre à une réunion dans la salle de cinéma du village. Il y a même deux représentants des deux villages du livre existant alors : Hay-on-Wye en Angleterre et Redu en Belgique, et puis des éditeurs, des libraires. 2

Michel regrettera l'absence totale de gens du Conseil Municipal, mais les libraires s'installent et petit à petit Montolieu devient Village du Livre.

Et c'est dans ce village, un peu à l'écart, que John et Louise achètent une ancienne tannerie pour y créer … un centre international de fonderie.

Ni plus ni moins.

Je suis ravi, Montolieu est à une vingtaine de minutes de chez moi et mon dernier fils devient ami avec un des fils de Louise. Pourtant nous nous voyons peu, mais les occasions sont toujours intenses. Je me rappelle une série de coulages, je vois des pièces aussi différentes qu'une simple rose, une statue de François Mitterand, une maquette de squelette humain de dix mètres de haut...
J'essaye de prendre des cours de violon avec John. Il n'a jamais le temps. Je suis débutant, il a trop de choses à faire, il joue encore avec Pete. Pete me dit qu'il a de moins en moins de temps pour la musique, qu'il s'inquiète.

Et le temps passe encore... Je change encore de lieu, je vais vivre dans l'Hérault. Des années plus tard, nous sommes en 2005, je rencontre Françoise. Puis Bénédite se marie avec Christian et ils font une grande fête dans leur belle maison. Le lendemain, j'amène Françoise visiter le pays audois et nous passons à Montolieu.

Sur la place où je gare la voiture : John !
Il me dit qu'il arrête la fonderie, qu'il veut se consacrer à la musique. Il nous invite à venir voir sa dernière œuvre : un arbre. .

Nous descendons à son atelier, et là, devant la porte de cet énorme bâtiment trône un arbre, en tout cas une souche sur laquelle doivent être fixés des livres, puis des feuilles. Il reste encore à faire. C'est une commande pour Montolieu. Il n'a plus l'entrain d'avant.

Nous parlons du passé, de Bubuk qui l'a toujours soutenu, qui est toujours venu le voir. Mais Bubuk est mort, je crois me souvenir que c'est au moment où nous nous retrouvons que John m'apprend cela.

Et nous nous quittons pour la dernière fois.

L'année suivante, de passage chez un ami commun, j'apprend la mort de John, par hydrocution en nageant.

Un jour je regarde sur internet ce qu'est devenu cet arbre. Je trouve des titres de presse et des articles disant que l'arbre ne sera jamais planté. Il y a une discorde au village de Montolieu et ça n'est pas nouveau. Depuis la fameuse réunion qui fonda le concept, le village du livre a été porté par une association autour de Michel Braibant3. Puis le conseil municipal se rend compte de l'intérêt de la chose et crée une seconde association, concurrente...
Les articles que je lis en 2011 semblent encore imprégnés de cette discorde.

Et je reste un peu amer de constater qu' un symbole aussi fort restera dans un hangar à jamais...

Mais le temps, ce fameux temps qui passe même en notre absence, repasse encore une fois et la semaine dernière c'est à mon tour de passer du côté de Montolieu, jeudi matin. J'ai dormi au lac de Laprade espérant voir le lever de soleil et je n'ai vu que du brouillard et de la pluie alors je me laisse descendre cette montagne noire, de village en village pour me garer sur la placette entre le cinéma où avait eu lieu la fameuse réunion et la maison Courrière (Antoine Courrière fut longtemps président du Conseil Général et Maire de Cuxac, et sa femme maire de Montolieu).

Il est à peine sept heures et tout est fermé ou presque. Après un bref tour de village, je réalise que je me suis garé à quelques mètres de « l'Arbre ».

Je prends deux photos : une en mémoire de John, une en mémoire de Bubuk !


En rentrant chez moi ce matin, je cherche encore sur le net et je trouve, enfin, l'explication.
L'auteur de l'Arbre, mort également, avait deux fils, et c'est à eux qu'on doit cet accomplissement.

Ma prochaine mission : les rencontrer !

Depuis samedi 15 février 2014, L'Envol est désormais scellé au cœur de Montolieu, à son patrimoine historique. Cette œuvre monumentale de Yonel Lebovici pensée en hommage à Michel Braibant, fondateur du «village du livre » est une sculpture en bronze de 4, 5 mètres de hauteur, c’est un arbre dont le tronc se transforme en empilement de livres.


 Le livre le plus haut est ouvert, ses pages se détachent, puis s’envolent telles des oiseaux quittant leur nid.
On peut lire le texte «Oiseaux»4, de Saint-John Perse. La sculpture commencée en 1994, est restée inachevée au moment du décès de Yonel Lebovici.









L’Envol a été continué, en deux étapes : la première, pour le tronc et les livres, grâce à l’énergie du fondeur John Cockin, ainsi qu’aux étudiants de sculpture de l’Ecole Boulle et leur professeur Yorane Lebovici, fils de Yonel, qui ont aidé John dans des grandes étapes du projet. Ceci avec le soutien financier d'Yvon Poullain, ami et mécène de Y. Lebovici, d’une participation de la Mairie et de subventions récupérées par Louise Romain. C’est dans cette période d’essais et de doute qu’est arrivé le décès de John Cokin. Cette disparition stoppe à nouveau l'aventure.

Une deuxième étape a pu voir le jour grâce au travail et soutien constant de Marc Chambaud, de toute l'équipe municipale animée par son 1er adjoint Francis Diaz, d’une importante participation de Carcassonne Agglo et du soutien de l’association Montolieu Village du Livre & des Arts graphiques, qui a lancé une souscription montolivaine.

La famille Lebovici a été sollicitée en septembre 2013, pour terminer l'œuvre. Les deux fils Lebovici ont repris les études du projet et ont travaillé bénévolement durant plus de quatre mois sur la sculpture qu’ils sont fiers d’avoir abouti, en hommage à leur père, aux Montolivains et à tous ceux qui ont contribué à cette grande aventure.
 DSC_0651.JPG
La famille Lebovici et Cockin, leurs proches, les élus, enfants et villageois ; tous étaient réunis pour célébrer dans une très vive émotion l’œuvre de ce grand homme qu'était Yonel Lebovici.
Citons Micky Lebovici, épouse du très regretté Yonel Lebovici, prononçant très émue ces mots à destination de toute l'assistance et définissant ainsi l’œuvre de Yonel : "Aimer les mêmes lectures, n'est-ce pas tourner les pages ensemble ?"
Prenant racine avec maturité L’Envol  s’élève désormais en forme de souhaits pour l’avenir au cœur du village du livre, comme l’auraient souhaité, Yonel Lebovici et Michel Braibant, pour fédérer toutes les synergies montolivaines.
expo de l'envol.JPG 

   Une belle expo très remarquée de photos de la maquette de L'Envol du photographe Bertrand Taoussi au Foyer Jean Guéhenno a rencontré un franc succès et clôturait cette cérémonie inaugurale autour d'un apéritif chaleureux offert par la Mairie en finissant de graver dans les mémoires ces grands moments d'histoire intense qui font d'un village, sa grandeur.





Voilà. L'Envol est bel et bien accompli.
Merci Bubuk ! Merci Yonel ! Merci John ! Merci Michel !
Et bon voyage ….....!


1Après réflexion, j'ai fini par le faire. La durée a son importance, c'est une histoire sur presque trente années. Elle a habité là entre 1985 et 1987..
2 Je suis moi même présent et assez étonné, je dois avouer, de constater que Hay-on-Wye est le seul village anglais que je connaisse pour y avoir séjourné deux belles semaines dans ma jeunesse. Je discute à la pause avec l'anglais qui y vit et qui connait bien la famille chez qui j'étais.
Je parle ensuite avec un ami éditeur et nous interpellons le représentant du village belge qui passe devant nous. Au bout de deux minutes de discussion, ils se rendent compte qu'ils sont tous deux voisins, étant propriétaires en dordogne d'un terrain (l'éditeur) et d'un moulin( le belge) limitrophes dans le même village. Et moi je connais bien ce village pour y avoir vécu mon seul accident de la route, la veille de la naissance de ma fille Aurore !



3Lorsque je m'installe dans le secteur, Michel est mort depuis quelques temps, et c'est sa femme Jacqueline qui me raconte comment il a lutté deux années durant pour concilier les gens, mais sans succès. Elle dit même que le cancer qui l'a emporté était lié à sa déception.
4 Le contexte de « Oiseaux » est déjà une histoire de commande et de collaboration artistique http://www.sjperse.org/oiseaux.html

mercredi 21 mai 2014

Sarawak


La Mouisse, printemps 2010


J'étais assis à cette grande table et on m'avait placé en face d'un couple de Néo-Zélandais. J'avais été présenté comme le maçon et je venais effectivement refaire une bonne partie des toitures, mais on m'avait proposé de commencer par une petite réparation chez les voisins dont la toiture souffrait aussi de ce climat rude du Larzac.

Vers la fin de la matinée, Gisèle était venue me voir sur mon chantier pour me présenter Rod et Linda et ils m'avaient invité pour le repas. Ils s'étaient rencontrés en Chine, puis s'étaient revus au plusieurs fois ici et là, en Asie.
Depuis ils venaient chaque année à la Mouisse retrouver leurs amis et leurs souvenirs.
Je découvrais un monde de voyageurs. Des retraités, fans de découverte et d'expérience humaine. Gisèle avait ainsi voyagé avec Gérard depuis leur retraite durant plusieurs années et il y avait au fond de la grande pièce unique de leur maison une étagère remplie de cahiers qui contenaient leurs photos et journal de bord de chaque voyage, mais ça je le découvris par la suite.

Nous étions une bonne douzaine autour de cette table et Gérard avait placé tout son monde avec humour, se réservant le bout de table comme tout bon patriarche. Je regardais donc mes voisins et commençais à réviser mon anglais pour établir un minimum de liens avec ces gens souriants venus de si loin pour revoir leurs amis de voyage.
C'est alors que l'étincelle se fit : je dis à Rod que le seul homme que je connaissais en Nouvelle Zélande était le dernier Rajah du Sarawak.
Je les vis alors tous les deux abasourdis comme s'ils avaient rencontré un alien.
Pendant que Rod me faisait répéter, Linda fit taire tous les autres pour relayer à nos hôtes mon information.
Gérard se mit alors en devoir de me questionner et il fallait voir le cocasse de cette situation où deux personnes échangent à quatre mètres de distance et dix personnes silencieuses dont la plupart ne comprenait d'ailleurs rien.
Et moi le premier.
J'avais simplement cité un nom, celui d'un homme au destin étrange, qui avait été désigné pour succéder au dernier Rajah du Sarawak, mais qui fut ensuite évincé, le royaume ayant été vendu, oui, vendu à l'Angleterre.

Gérard, Gisèle, Rod et Linda s'étaient retrouvés plusieurs fois au Sarawak et avaient été fascinés par l'histoire des Rajahs Blancs, d'où leur stupeur quand, à leur table, le maçon évoque cette histoire.
Mais eux connaissaient les lieux, le pays, la jungle, les animaux, les gens, les musées, et c'est ici qu'ils sortirent pour moi les cahiers de voyage pour la première fois et je vis les photos et ils me lirent des extraits de leur journal, la visite du palais des rajahs à Kushing. Et une bonne partie du repas se passa à parler du Sarawak.

Et j'eu droit à la visite du « musée » de Gérard. Une antre remplie d'objets aussi divers que des figurines de dragons, des bouteilles de whisky de toutes origines, des boîtes quality street, des snoopy, des collections de voitures miniatures, de timbres, d'objet plus curieux les uns que les autres...
Il ne me restait plus qu'à raconter mon histoire, enfin, plutôt celle de la famille Brooke, et de ma rencontre avec elle.






Le Barry, printemps 2005


Je remonte le temps, c'est une des possibilités qu'offre assez couramment l'écriture, et j'y trouve un certain confort !

Me voici dans une chapelle d'un hameau de Monpeyroux, le Barry.
Je suis responsable d'une équipe et nous venons de commencer le chantier de rénovation dont l'objectif est de transformer l'actuelle semi-ruine en salle d'exposition et de spectacles.
Et les voisins ne manquent pas de venir nous faire une visite pour se faire expliquer les détails de l'opération. Voilà donc en un après midi, deux anglaises se présentent et me questionnent. La plus jeune, très élégante, parle un français impeccable, et retraduit à son amie mes propos. Au moment de nous quitter, je lui demande ce qu'elle fait. Du vin, et de la peinture, me dit-elle, et elle m'invite même à visiter son atelier en fin de journée.

Chose promise, chose due, je me retrouve quelques instants plus tard juste derrière la chapelle devant une jolie maison et ainsi commence la visite de l'atelier de Jo.
 une oeuvre de Jo
Elle peint tout ce qu'elle aime, et principalement les animaux. Magnifique coup de crayon. Elle m'explique comment elle dessine l'animal, sans le quitter des yeux, traçant avec un fusain presque sans quitter le papier qu'elle a disposé à l'horizontale devant elle.

J'aperçois alors un Orang-Outang.

Je lui dis : l'animal fétiche du Sarawak !

Oui, elle connaît, oui elle y est allée, et elle me cite le nom de la rivière au bord de laquelle elle l'a rencontré, cet Orang-outang. Et me revoilà à devoir expliquer comment, mais comment je connais ce pays ?
Mais je ne le connais pas, je dis seulement que je connais la fille du dernier Rajah, la fille d'Anthony Brooke, Célia.
Que nous nous sommes connus dans l'Aude, que j'ai même eu l'honneur de rencontrer son père et de parler longuement avec lui sur son engagement dans les mouvements pacifistes nés après la seconde guerre mondiale. Je ne pense pas lui avoir dit cette fois le pourquoi de cette rencontre.
Elle avait une chose étonnante à me dire.

Elle vivait dans le sud depuis longtemps et recevait de temps à autre une amie anglaise quilui avait souvent posé cette question : aurais-tu rencontré une de mes amies d'enfance qui vit aussi dans le sud, nous sommes devenues amies dans un pensionnat en Chine et nous avons perdu le contact, elle s'appelle Célia et c'est la fille du dernier Rajah du Sarawak...

Je lui donnais l'adresse de Célia et lui raconta ce que je savais.

Jo connaissait le Sarawak pour y être allée plusieurs fois. Un cousin à elle y vit, ancien pilote du Rajah de Brunei, il s'y est installé.





Bouriège, hiver 1983


C'est une fête dans le foyer du village. Je ne sais plus qui joue, peut-être le Saint-André-Blues-Band, en tout cas il y a du monde et une amie me présente à un couple, Célia et David. Quand elle les a aperçus elle m'a dit qu'elle allait me présenter à une princesse.

Effectivement Célia a bien une allure de princesse, et David une belle allure de prince. Ils sont beaux.
Nous parlons et, apprenant ma qualité de maçon, me proposent de passer chez eux un jour pour voir leur projet d'école.

Et je prends ainsi l'habitude de venir les voir à la Métairie Blanche, un lieu perdu dans les collines, sans électricité, où ils restaurent une maison et ont entrepris une construction d'où doit surgir une école... Je donne quelques cours de plâtre à des anglais dans une grande pièce où trônent des curieux tableaux de personnages royaux. Quand je demande ce qu'ils font là, on me répond simplement que c'est la famille de Célia !

Et les années passent, je change de région.

Un jour un ami vient me voir. Proche de David et de Célia dont il connait le père, Anthony. Anthony Brooke vit en Nouvelle Zélande et là-bas, il a créé « Many to Many », un genre de périodique dans lequel il rassemble toutes les informations qu'il reçoit sur le monde du changement.
Mon ami, qui reçoit « Many to Many », cherche quelqu'un pour l'aider à le publier en français .
Célia est partante pour nous aider et commence alors à me raconter sa vie, celle de son père, elle me confie des documents, articles de presse, livres.

Commence alors pour moi une période très féconde en découvertes. Je rentre en contact avec les gens qui écrivent dans Many to Many, j'échange des courriers avec l'université de la Paix au Costa-Rica, qui prépare une rencontre internationale pour rédiger une déclaration des Devoirs des Citoyens, pour faire suite aux droits de l'homme, je découvre le mouvement « Generals for Peace », qui rassemble des officiers supérieurs conscients des dangers liés au nucléaire, un mouvement qui, à mon sens, a largement collaboré à l'ouverture des pays de l'est, dont la chute du mur de Berlin fut le symbole. Generals for Peace rassemblait en effet à la fois des généraux des pays de l'Otan etdes généraux des pays de l'est.
Neve Shalom, une communauté Judéo Palestinienne, dont la principale activité est une école pour la résolution pacifique des conflits, ainsi que toute sorte de mouvements engagés dans la non-violence et la protection de l'environnement.
Tous ces mouvements connaissent Anthony Brooke pour l'avoir rencontré en tant que militant actif pour toutes ces causes

Et puis, bien sûr, je découvre l'histoire du Sarawak.
J'avais lu Kipling et sa nouvelle « l'homme qui voulut être roi », mais le nom de Sarawak ne m'avait rien évoqué.

Anthony Brooke est né en 1912. Neveu de Charles Vyner Brooke, Rajah du Sarawak, il est destiné à régner à la suite de son oncle qui n'a engendré que des filles, le titre de Rajah ne se transmettant qu'à des hommes.

Le 9 Avril 1939, il est désigné comme successeur et sacré « Rajah Muda ».
Il vit au palais de son oncle royal et se consacre aux choses de l'état, veillant au bon fonctionnement de l'administration et prenant très à cœur sa responsabilité de futur chef d'état.
Il rencontre un jour la future mère de Célia et ils décident de se marier.
Le mariage a lieu à Rangoon et, après une lune de miel à Sumatra, le couple s'envole pour Athènes où vit la mère d'Anthony.
Un télégramme lui apprend alors qu'il est destitué de son titre de Rajah Muda.
1941. Le monde est en guerre. Le Sarawak fête les cent ans de la dynastie Brooke. Du 20 au 28 Septembre la ville de Kuching est en fête, toutes les communautés du pays représentées par leurs chefs sont reçues au palais. « Témoignant sans équivoque le respect et l'affection que tous les sujets avaient pour le règne desBrooke »
Décembre 1941 : invasion Japonaise, le Rajah est en Australie, les autres membres de la famille sont absents du pays.
A la fin du conflit, le pays est cédé à la couronne britannique moyennant 2,750,000 livres sterling dont une partie est allouée au Rajah et aux siens.. Le 26 Juillet 1946, le Sarawak devient officiellement une colonie Anglaise.
Le règne des Rajahs Blancs prend fin.



Un siècle plus tôt






1824

James Brooke, jeune officier de l'armée des Indes (armée privée, de la compagnie des Indes) est laissé pour mort dans une bataille contre des Birmans.
Retrouvé sous son cheval par son colonel, il est ensuite rapatrié en Angleterre pour extraire une balle de sa colonne vertébrale. Sa convalescence est longue et difficile et, quand il décide de rejoindre son régiment, le premier bateau qu'il prend à Southampton fait naufrage près de l'île de Wight. Le voyage suivant l 'amène à bon port, mais trop tard : il a dépassé le délai de 5 ans qui lui était imparti et se retrouve au chômage.

De retour en Angleterre il se documente sur les régions du monde encore à découvrir.
Il a lu le livre de Georges Windsor Earl sur son voyage à Bornéo et les articles de Sir Raffles, ancien Gouverneur de Java, qui traitent de l'intérêt majeur que représente cette île. Il rencontre Earl, consulte l'Amirauté et le British Muséum, et même si les gens ne savent finalement pas grand chose, il se trouve chaque fois bien accueilli.

La mort de son père et l'héritage qui en découle sera l'élément moteur de ce qui suit.
Il achète un bateau de 142 tonneaux, recrute un équipage au complet, et effectue un voyage d'essai en Méditerrannée de septembre 1836 au mois de Juin 1937.
L'expérience étant concluante, il se sent prêt au grand voyage.

Il écrit un texte par lequel il demande des aides pour lancer une expédition . Il commence par décrire l'histoire de l'archipel Malais des derniers siècles, s'appuie sur reprenant idées de Raffles, critique la politique Hollandaise en Malaisie qu'il considère néfaste, voire désastreuse.
« A ce jour, nous avons la quasi certitude que la politique Hollandaise n'a engendré que la confusion et l'anarchie dans cet eden oriental, en n'y apportant que l'idée du profit ! »
Ajoutant que si les Hollandais ont pu s'implanter là-bas c'est uniquement lié au fait que l'angleterre n'a pas suivi les conseils de Raffles.
La suite du texte exprime très bien son état d'esprit et le réel engagement qui le motive et qui restera sa ligne directrice : Mettre en place un comptoir commercial ne doit pas se faire sans tenir impérativement compte de l'évolution et du développement des populations du lieu !
Il cite même « les droits inaliénables des Aborigènes »
On est loin de l'American dream...
C'est le point qui me plaît le plus dans son histoire.
Il projette un voyage qui l'amènerait à l'extrême nord-est de Bornéo, Malludu Bay, où l'East India Company s'était déjà implantée, bien placée par rapport à la Chine, Singapour et Port Essington en Australie, ces derniers étant Britanniques.
Il entrerait en relation avec le peuple Dyak, et en profiterait pour y étudier la flore, la faune et les ressources minérales de la région.

Puis il poursuivrait en accostant aux Célèbes, chez les Bugis, qui sont les grands marchands de l'archipel, étudierait la possibilité d'y établir un comptoir dans une contrée non contrôlée par les Hollandais, rejoindrait ensuite la Nouvelle-Guinée, les îles Aru et Port Essington.
Il insistait enfin sur le fait que son bateau, le Royalist, faisait partie du Royal Yacht Squadron et que ce titre lui amenait autant de considération qu'un bateau de la Royal Navy.

Un projet bien ambitieux quand on sait que Malludu Bay était le principal repaire des pirates Illanums, que l'isolement de Bornéo, le pays des réducteurs de têtes, était entièrement dû à la piraterie, et que, depuis Vasco de Gama, nombreuses furent les tentatives d'implantation et aussi nombreux les échecs...

Il déclencha malgré tout un réel intérêt, y compris en Hollande où il fut tout de suite considéré comme un homme dangereux.

Jeudi 26 Octobre 1838, le Royalist quitte Londres pour Singapour. Cinq mois de voyage avec deux semaines d'escale à Rio de Janeiro et autant au Cap. A Singapour James est reçu par le gouverneur qui est intéressé par son projet et le documente sur tout ce qu'il n'a pas pu savoir en Angleterre concernant Bornéo, ses coutumes, ses habitants Chinois et Malais...
Il reprend la mer le 27 Juillet avec un nouveau médecin de bord et un interprète Malais. Destination : la Sarawak River, 600 miles plus bas.

Le 12 Août, il jette l'ancre à l'ouest de l'embouchure de la Sarawak River et James envoie une chaloupe à la résidence du Rajah, 20 miles plus bas. Le Rajah envoie alors un émissaire porteur d'une invitation officielle.

Le 15 Août, les 21 canons du Royalist saluent le Rajah devant son palais de Kuching. James et son équipage sont reçus comme des sauveurs.
En fait tous sont victimes d'un quiproquo.
Kuching a demandé à l'Angleterre de l'aide pour lutter contre la piraterie et ouvrir le pays au commerce extérieur. Le bateau de James avec son pavillon britannique et son nom évocateur est pris pour une réponse effective d'aide et c'est ainsi que commence la relation entre James et le Rajah.

James s'implique alors dans l'histoire locale, résolvant un à un les problèmes du Rajah. Diplomate par nature, il réussit par le dialogue à dénouer des conflits . Petit à petit il devient la personne de la situation et se fait aimer à la fois du peuple et des dirigeants.

Kuching
En fait les choses arrivent sans prévenir. Il rentre à Singapour, se fait un peu tirer les oreilles par le gouverneur qui lui demande de ne pas mélanger les affaires commerciales avec la politique. Il décide de revoir Kuching pour saluer ses amis avant de reprendre son voyage vers Manille et la Chine, puis de rentrer en Angleterre.

Ceci est le tout début de l'Histoire. Je reprend un peu en arrière pour préciser les circonstances de ce qui vient de se passer jusque là, la suite n'en sera que plus lisible...

Retour sur l'état de Bornéo

A cette époque, la province de Sarawak constitue la majeure partie du territoire des sultans de Brunei qui l'avaient conquis deux siècles plus tôt à cause de ses mines d'or et d'antimoine. Le conquérant, le sultan Hasan, neuvième de la dynastie, régnait sur tout Bornéo dans le début du dix-septième siècle et son influence allait des Philippines jusqu'à Java. Mais aussitôt après sa mort, les autres sultans de l'île retrouvèrent leur totale indépendance. Muhudin, petit-fils d'Hasan, dû même céder la partie nord de Bornéo aux Sulu, en contrepartie de leur aise dans une guerre civile.
La décadence fut rapide au 18 ème siècle.
Du fait d'une coutume musulmane qui donnait comme successeur du trône non pas le fils aîné, mais l'ainé mâle de la famille régnante, il arrivait que soient mis à mort les frères du Sultan régnant ainsi que leurs fils, ce qui simplifiait passablement les choses...
Dans les territoires Malais il arrivait que le fils aîné du dernier souverain soit préparé à s'emparer du trône et éliminer ses rivaux, mais la plupart du temps les princes et leurs suites accédaient à leur fin par la négociation et un ou deux meurtres.

Le trône de Brunei avait souvent connu ce type d'expérience. En 1839, quand James Brooke débarque , le Sultan s'appelle Omar Ali Saifuddin, homme d'une cinquantaine d'années, considéré comme un peu simple. Quelques années plus tôt, bien ayant été désigné comme successeur de son père, c'est un de ses oncles qui prend le trône. Api, un homme cruel jusqu'à la folie, épargne son neveu sans doute à cause de son infirmité. La sœur de Api, mère d'Omar, organise alors une révolte dans le palais qui aboutit à la mise à mort de l'usurpateur.

Omar Ali monte ainsi sur le trône mais du fait de son état mental et d'une légère déformation de la main droite, il n'est jamais formellement investi et ne prend donc pas le titre de Ing di Pertuan (Seigneur Régnant) qui désignait le souverain de Brunei. Il n'a aucun contrôle sur ses proches, et ceux ci choisissent un autre de ses oncles, Hasim, comme Rajah Muda, ou héritier du trône et Régent. Peu après, comme une révolte éclate au Sarawak contre le gouverneur, le Pangiran Makota, en 1837 le Rajah Muda Hasim est envoyé pour rétablir l'ordre.

Une révolte n'était pas surprenante vu l'état de corruption du régime.

Quand les nobles n'étaient pas occupés à intriguer les uns contre les autres, ils se liguaient pour extorquer argent et denrées aux races indigènes plus faibles. Les Lands Dyaks en particulier. Les chefs locaux Malais étaient habilités à demander un impôt aux Dyaks, mais leur méthode de marché forcé, en usage dans tous les pays Malais, était intolérable. Tous les produits d'un village Dyak devaient être vendus au prix que décidait le dirigeant, et tous les Malais du district avaient le droit d'acheter le surplus au même prix. Et si les denrées manquaient, alors ils étaient forcés de vendre leurs enfants comme esclaves. Obligés aussi d'acheter ce que les dirigeants voulaient leur vendre à des prix excessifs...
Dans de telles conditions, la population Dyak était proche de la famine et déclinait quand ils n'allaient pas se réfugier dans les lointaines collines.
Leur nature douce en faisaient des victimes idéales.
D'autres tribus étaient traités différemment. On pouvait par exemple vendre des armes aux Sea Dyaks et les encourager à attaquer leurs voisins plus faibles, à condition qu'ils reversent la moitié de leur butin au gouvernement de Brunei. Le racket des plus forts contre les plus faibles était monnaie courante. Et la passion des Sea Dyaks et des tribus voisines pour collectionner les têtes était tout à fait propice à de tels encouragements. La méthode s'était d'ailleurs étendu bien au delà de leur territoire qui était au départ les rivières. Ils apprirent des Malais les avantages de la piraterie de pleine mer.

De cette situation, James Brooke n'en avait pas touché un mot.
Plus dangereux que les Malais : les Illanums, de l'archipel des Sulus, originaires des Philippines et qui opéraient sous le patronage du Sultan De Sulu. Trois ou quatre mois de mer ne les rebutaient pas, leur champ d'action comprenait toute la péninsule Malaise et Java, et leur repaire favori était justement Marudu Bay, où James avait choisi d'aller.



En fait, au moment de notre histoire, les pirates évitent plutôt les navires européens. L'année 1838 une flotte de bateaux Illanum a été anéantie par deux bateaux britanniques au moment où ils attaquaient une jonque chinoise. Ce qui n'empêche pas pour autant l'accroissement permanent du phénomène, vu les conditions de vie désastreuse, phénomène qui se retourne même parfois contre les Malais eux-mêmes.

C'est au beau milieu de ce chaos qu'éclate la rebellion au Sarawak. Venu de Brunei pour lui prêter main forte, un Pangiran nommé Usop lui promet l'aide du Sultan de Sambas, mais en réalité toute son équipe passe du côté Dayak et les aide à organiser la révolte. Hasim est dépassé car, le Sultan de Sambas est soutenu par les Hollandais. Il décide alors de se tourner vers l'Angleterre.
Et c'est ainsi qu'en 1838, lorqu'on lui annonce l'arrivée d'un navire Britannique à l'embouchure du fleuve, il n'a aucun doute : enfin une aide...

Et James lui amenait effectivement une lettre du gouverneur et de la chambre de commerce de Singapour, lettre de remerciement pour son attitude récente à l'égards d'équipages Anglais en détresse qu'il avait su accueillir dignement et fait ramener à Singapour à ses frais. Il y était même question d'établir à sa cour une délégation Britannique.

D'un côté, Singapour surestimait le réel pouvoir d'Hasim et son autorité, et de l'autre Hasim se croyait enfin assisté.

Curieuse situation qui m'amène à cet arrêt sur image, car c'est là que tout se joue : Hasim voit en James Brooke un officier de sa majesté chargé de lui prêter main forte. James étant simplement porteur d'une missive, certes positive, mais sans plus. Lui, de son côté se sent comblé, il va pouvoir poser des jalons et démarrer quelque chose, enfin la chance lui sourit !

Et c'est sous ces auspices trompeuses qu'il débarque à Kuching le 15 août. Arrivé en début du mois au cap ouest de l'embouchure du Sarawak, il a fait parvenir un messager à Hasim, lequel lui fait savoir qu'il l'attend...

Kuching

Kuching est une ville de 800 habitants, toute neuve. Makota l'a fait construire après la mise à sac par les Dyaks de Katubong. A part quelques commerçant Chinois, la population est constituée de Malais. Les nobles Malais habitent plutôt Lida Tanah plus haut sur la rivière. Une grande partie de la ville est faite des palais du Rajah, de Makota et de leur suite de nobles. Les maisons sont construite à la façon malaise, avec des pieux plantés dans la boue.
Le hall d'audience où James est reçu le matin de son arrivée est une grande remise somptueusement décorée de tentures. C'est une audience officielle avec cérémonial et remise de cadeaux au Rajah. Dans la soirée James parle avec le Rajah qui cherche à savoir qui est le plus fort des Anglais ou des Hollandais ? James penche pour les Anglais, et la discussion en reste là.
Le lendemain, il leur fait visiter le Royalist.
Dans la soirée Makota lui annonce que les Hollandais ont des vues sur Brunei et le Sarawak. Il lui demande si l'Angleterre serait prête à intervenir en cas de besoin. James lui répond que les Hollandais n'occupent jamais un pays sans y avoir établi un comptoir avant. La meilleure des choses est de ne pas accueillir de marchands Hollandais. Makota parle alors des excellents marchands Anglais.
Avec Hasim et Makota, James se sent bien. Ils lui assurent que la révolte n'est pas très sérieuse. Il leur demande alors la permission de visiter le pays. Makota lui ayant fait rencontrer un chef Dyak, il veut voir de ses yeux un village Dyak. On lui donne la permission, pourvu qu'il reste dans les endroits calmes.
Cette première expédition fluviale ne le renseigne pas vraiment sur la situation. Les Pangirans qu'on lui a donné comme guides le dissuadent de pénétrer en territoire Dyak. Ils reviennent à Kuching au bout de quatre jours de navigation dans un magnifique paysage, certes, mais très peu peuplé.
Une seconde tentative l'amène quelques jours plus tard au village du chef que Makota lui avait fait rencontrer. Enfin il découvre l'hospitalité Dayak, il est reçu à Situngong dans une longhouse d'environ 200 mètres de long, où vivent à peu près 400 personnes, les Sibuyoh.

Il ressort content de la visite, mis à part une trentaines de têtes qui décorent les chevrons. On lui explique que ce sont des têtes d'ennemis. Il ne sait pas encore qu'un jeune Dyak doit amener une tête à sa belle famille pour pouvoir se marier...
Il visite ensuite un village Chinois construit quelques mois plus tôt, très impressionné par leur mode d'organisation.

De retour à Kuching il retrouve Hasim et prend le temps de parler avec lui. Il prévoit de rentrer à Singapour à la fin-septembre mais décide de faire un détour chez un chef pirate, accompagné de deux Pangirans. Il y est reçu amicalement par le chef qui lui explique candidement son métier dont maintes têtes font preuve tout autour d'eux, décorant la longhouse.
Les Pangirans le raccompagnent à son bateau et lui adjoignent une petite escorte pour sortir de la baie, et c'est l'escorte qui se fait attaquer par des pirates Saribas dans la soirée du 28. Les canons du Royalist font fuir les attaquants, mais il est plus prudent de redescendre à Kuching pour aviser et soigner les quelques blessés.
Il leur est offert un somptueux banquet et le lendemain tout l'équipage a droit aux adieux des hôtes Malais en compagnie d'un Orang-Outang.

A Singapour, James est bien reçu par les marchands, mais quand il raconte son parcours au Gouverneur, Mr Bonham est moins enthousiaste. Discuter pour entamer des relations commerciales est une chose, la politique en est une autre. James s'était montré imprudent : si ses propos parvenaient aux oreilles des Hollandais, qu'est-ce qui allait se passer ? James comprend alors que son initiative n'est pas appréciée en milieu 'officiel' mais reste convaincu de ses opinions et de ses intentions.

Préférant attendre la fin du conflit pour retourner au Sarawak, il décide d'en profiter pour réaliser la seconde partie de son projet autour des Célèbes. Du 20 Novembre 1839 au 29 Mai 1840, le Royalist l'amène à la rencontre de peuples amicaux ainsi que leurs dirigeants. De retour à Singapour il envisage une visite d'adieu au Sarawak avant de retourner en Angleterre en passant par Manille et la Chine.

29 Août 1840. Kuching. Découragé et fatigué.

Hasim et les Malais lui réservent un accueil agréable, mais la rébellion n'a pas cessé. Au contraire les forces des Dayaks rebelles sont à 30 miles de la ville. Pas question de voyager dans l'arrière pays, et rien à faire à Kuching. Pourtant à chaque fois qu'il parle de son départ, le Rajah l'implore de rester, ajoutant qu'il ne peut compter sur personne d'autre. Il propose à James de lui montrer son armée, aux ordres de Makota, à LidaTanah, en amont de la rivière. Sa présence encouragerait les troupes en même temps qu'elle impressionnerait les rebelles. James accepte et les voilà ramant vers le front dans un bateau chargé de vivres. Il trouve là une armée assez extraordinaire, principalement constituée de Malais et quelques Dayaks, plus enclins à se quereller entre eux qu'à attaquer l'ennemi, ainsi qu'une petite troupe de Chinois bien mieux disciplinée. Les deux camps postés derrières des palissades à portée de voix les uns des autres et s'injuriant mutuellement. Makota et ses commandants dévorant les provisions de James sans s'occuper de son avis.

Rentré à Kuching, il apprend la mort d'un des membres de son équipage et trouve un autre en train de mourir.
De nouveau il veut partir, de nouveau Hasim le convainc de rester en ajoutant que des Dyaks, affaiblis par la faim, sont prêts à se rendre. James accepte de retourner au front après avoir embarqué quelques canons du Royalist. Les rebelles sont effrayés, mais Makota et son conseil de guerre ne veut rien tenter, ni attaque, ni négociation avec James.
Nouveau retour à Kuching, James ne se fait plus d'illusions et le 4 Novembre il annonce fermement son départ. C'est alors qu'Hasim lui propose, au cas où il reste, de lui laisser le pays de Siniawan et de Sarawak, son gouvernement et son commerce, et il lui suggère même qu'il peut devenir Rajah. James est tenté.
Il est trop prudent pour accepter mais il ne décline pas l'offre et accepte de rester.
A son retour il trouve l'armée en meilleur état. Il y a là Bedruddin, un frère de Hasim, un prince nettement plus réactif que ses congénères. James trouve enfin un allié pour agir, jusqu'au moment où Bedruddin est rappelé par Hasim.

Retournement

James trouve alors le moment propice pour agir avec son équipage et l'aide de Si Tundo, un Malais. Ils prennent un groupe d'insurgés à revers, lesquels acceptent de parlementer avec James. Le chef des rebelles, un dénommé Matusain, s'avance alors sans armes et lui demande de leur garantir la vie sauve s'ils se rendent. James ne peut rien promettre, seulement leur apporter son soutien, la décision appartenant au Rajah.
La négociation avec Hasim et Makota est difficile, mais James l'emporte en remettant en cause sa présence. Les rebelles voient leurs biens confisqués, les femmes et les enfants sont amenés à Kuching, mais personne n'est tué.

Arrive ensuite la question de l'offre de Hasim. Son titre de régent ne lui permet pas de décider de l'avenir du pays. C'est du ressort du Sultan, et Hasim a des doutes, il craint que son absence de Brunei lui ait fait perdre son influence, laquelle diminuerait d'autant si le bruit se répand qu'il veut donner la province à un Anglais. Il ne lui semble pas possible de quitter le Sarawak dans un tel état chaotique, Makota inévitablement provoquerait une nouvelle rébellion... La seule chose qui lui semble envisageable est de demander au Sultan un permis pour que James s'établisse au Sarawak. Quand James proteste, Hasim lui dit que c'est juste une première étape pour que le Sultan se fasse à l'idée d'un Anglais sur son territoire.
James n'avait plus confiance en lui, encore moins en Makota qui venait de faire mettre à sac un ex village rebelle et partait maintenant pour Brunei. Hasim ne se voyant pas laisser le Sarawak aux mains de James, se retrouve coincé.

James prend alors la décision d'aller à Singapour et exige qu'à son retour on lui ait construit une maison, mis de côté une certaine quantité d'antimoine et qu'un document pour régulariser sa position soit prêt pour le faire signer au Sultan. Il reviendra avec un cargo de marchandises pour le transport de l'antimoine, espérant mettre en route un commerce régulier.
Il s'est enfin fait à l'idée de s'établir au Sarawak en tant que dirigeant.

Peu avant le départ arrivent à Kuching des nouvelles au sujet des pirates de la côte. Un Pangiran envoyé pour enquêter revient avec une demande d'un chef pirate qui demande l'autorisation de rencontrer le Rajah Muda. Il était soupçonné d'avoir l'intention de capturer le Royalist. James, curieux de le voir, insiste pour que Hasim le reçoive. Bientôt arrive une flotte de 18 splendides vaisseaux Illanum. James est invité à visiter l'un d'eux et à discuter avec les chefs qui lui parlent franchement du plaisir du métier, qui n'a plus rien à voir avec ce qui se pratiquait du temps de leurs ancêtres. Ils naviguaient depuis trois ans et la plupart des bateaux avaient été pris aux Bugis.
Tant que la piraterie à Bornéo en est à ce stade, réalise James, les Européens peuvent toujours essayer de protéger leurs bateaux et leurs ports...

De Février à Avril 1841 il est à Singapour, en quête d'un bateau. Il ne trouve rien sauf un schooner, le Swift, pas vraiment idéal comme cargo, et cher, mais n'ayant pas le choix, il l'achète et le remplit de tout ce qu'il peut trouver. Mr Bonham lui fait bonne impression malgré son annonce d'entrée en politique. Pareil chez les Hollandais. En 1842, M. Bloem, Assistant-Résident aux Sambas, avait écrit à James en lui enjoignant de ne pas se mêler de la politique de Bornéo. Des rumeurs étaient parvenues à la Hague. Mais , après enquête, un diplomate Hollandais à Londres avait conclu que Mr Brooke semblait travailler pour la Société Royale Géographique.

A son retour à Kuching, James ne trouve ni maison, pour lui, ni antimoine et rien de plus n'a avancé en ce qui concerne son titre. Makota est rentré de Brunei plus puissant que jamais. Il découvre également que les Sea Dyaks, en connivence avec Makota et sans doute aussi Hasim, préparent une expédition contre les Land Dyaks et les Chinois. Par ailleurs il apprend que Si Tundo, le Malais avec lequel il a attaqué les rebelles, a été mis à mort par ordre de Hasim.

Sa colère pousse Hasim à agir. Une maison est construite en un temps record, de l'antimoine est collectée et l'expédition contre les Dyaks et les Chinois est abandonnée. Ces événements perturbent Hasim au point qu'il se réfugie chez lui en se disant malade. Mais il a encore besoin de l'aide de James ; et James besoin de lui pour devenir gouverneur et il voit qu'il lui faut encore patienter.
Il se sent de plus en plus estimé. Les Dyaks et les Chinois le considèrent comme leur sauveur. Il est de plus en plus impressionné par les Chinois. Il pense que ce serait d'excellents alliés. Il profite de cette période pour se documenter sur les tribus et sur les coutumes locales.

En Juillet, on apprend qu'un navire Anglais, le Sultana, a fait noufrage au large de Brunei et que l'équipage est prisonnier du Sultan. Hasim promet de s'en occuper mais n'entreprend rien. James, après un entretien tendu avec lui, décide d'envoyer le Swift chrgé d'antimoine à Singapour et le Royalist à Brunei pour enquêter sur l'équipage capturé. Il veut rester seul dans sa maison.
Le 2 Août, James tient dans ses mains une lettre de Mr Gill, Capitaine du Sultana, expliquant que lui et deux hommes de son équipage ont été relachés pour aller à Singapour mais que leur bateau a été démâté, qu'ils n'osent pas réparer à cause des pirates, et que le reste de l'équipage ainsi que quelques femmes sont encore prisonniers à Brunei dans des conditions désastreuses.
Et puis les deux bateaux reviennent. Le Royalist a été très mal accueilli à Brunei, avec interdiction de voir les prisonniers, mais le Swift a obtenu des autorités de Singapour l'envoi du Diana, un East Indiaman, à Brunei. Cette démonstration de force déclenche immédiatement la libération des gens du Sultana.

L'incident rehausse considérablement le prestige de James. L'arrivée du Diana en armes juste après l'accueil discourtois du Royalist ayant été interprété par les autorités de Brunei comme un soutien de l'Angleterre à James Brooke. De la même façon, quand ils entendent le témoignage des marins du Sultana, les gens de Singapour sont impressionnés par son influence à Bornéo. James, de son côté, est tout a fait conscient du côté illusoire de la situation.

L'attitude haineuse de Makota devient plus en plus flagrante . James s'aperçoit que les Malais n'osent pas venir chez lui par peur des agents de Makota. L'un d'eux a même tenté d'empoisonner son interprète Malais en versant de l'arsenic dans son riz. Il décide de prendre les choses en main.
Il fait amener les canons du Royalist, les pointe sur le palais, et, à la tête d'un petit détachement, demande une audience immédiate à Hasim.
Il lui rapporte les dernières intrigues de Makota envers lui et envers Hasim, ajoute que ce sont les exactions de Makota qui ont déclenché la récente révolte et termine en affirmant qu'il est lui même en excellent termes avec les Dyaks et les chefs Malais locaux, et que ces derniers le soutiendraient dans un combat contre Makota.
Hasim est à la fois effrayé et soulagé. Il ne peut pas imaginer de permettre une nouvelle rébellion avec James Brooke comme chef, et en plus il ne croit plus en Makota. Il se met alors à rédiger un document statuant publiquement et sincèrement qu'agissant en pleine conscience il donnait à James le gouvernement du Sarawak et ses dépendances, en contrepartie d'un paiement annuel au Sultan de Brunei et de la promesse de respecter les lois et la religion du pays.

Le document, dûment signé est envoyé à qui de droit et, le 24 Novembre 1841, James Brooke est officiellement proclamé Rajah et Gouverneur du Sarawak.

Le règne a commencé, mais la position du nouveau Rajah est incertaine. Makota est défait et ses prochesl'abandonnent publiquement, mais il a encore de l'influence. Son titre de gouverneur n'a pas été abrogé par le Sultan. Hasim reste encore à Kuching comme représentant du Sultan dont James reste tributaire... Et le Sultan n'a encore pas décidé du transfert d'autorité. Et si James peut se prétendre Rajah dans ses déclarations au peuple du Sarawak, il ne le fait pas lorsqu'il communique avec le monde extérieur.

En Angleterre, aucun mot sur le fait qu'un citoyen Britannique est devenu le souverain d'un territoire étranger. Les Hollandais sont plus au courant. Un rapport du Député Gouverneur Général des Indes arrive à La Hague à la fin 1841 faisant état qu'un Anglais qui s'était établi au Sarawak fait maintenant partie du gouvernement, que le Sultan de Sambas, vassal des Hollandais, craint que l'ouverture du Sarawak ne nuise à son commerce. Mr Bloem, l'Assistant Résident qui avait encouragé la rébellion, se voit muté pour cet excès de zèle. Pour conclure, le rapport précise que si les autorités Hollandaises n'aiment pas que des citoyens interfèrent dans les affaires indigènes, quelque chose doit être fait pour enrayer 'l'entreprenant aventurier' que représente la personne de James Brooke.
Mais rien n'est entrepris. La Hollande n'est pas en mesure de mettre en œuvre une expédition d'envergure sur Bornéo, qui par ailleurs pourrait occasionner des frictions avec le gouvernement Britannique.

James Brooke a donc le champ libre pour entamer son règne, aucune complication ne pouvant émaner de la Hague ni de Londres.





..... Un break dans cette histoire... 
Ce que je viens d'écrire est directement traduit du livre en Anglais de Steven Runciman "The White Rajah's"(on le trouve sur le net en PDF). Long et difficile pour moi, une traduction, mais nécessaire.
Mon but est de mettre cette histoire à jour, tellement elle me semble décalée par rapport au reste du monde. Et puis l'exemplaire qui me sert fait aussi partie de l'histoire puisqu'il m'a été prêté par Célia, l'arrière petite nièce de James. Et je ne pourrais même pas le lui rendre ! J'ai appris son décès en cherchant de ses nouvelles sur le net. Elle est morte en 2011.
J'ai trouvé aussi sur le net un recueil de lettres de James Brooke des années 1850. J'y viendrai par la suite. 
Si dans un premier temps notre 'aventurier' a le champ libre, cela ne dure pas. Les grandes puissances vont bientôt se réveiller...Cette période lui donne malgré tout le loisir de mettre en place un système pérenne, qui respecte les humains.
Et qui durera un siècle. 
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